Pas un pacsé. Seulement un marié. Mais trois hommes qui ont chacun œuvré à la naissance de ce petit bijou juridique qu’est le pacte civil de solidarité, voté le 13 octobre 1999. A l’époque, Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel, coauteurs et rapporteurs de la proposition de loi, et Denis Quinqueton, jeune militant engagé au sein du Collectif pour le CUC (contrat d’union civile) qui fut l’ancêtre du pacs, ne se doutaient pas que cette nouvelle forme d’union connaîtrait un tel succès. Vingt ans plus tard, tous trois s’en félicitent, comme ils se sont réjouis de voir dans les rues des couples d’homos oser se tenir la main dans la France d’après le pacs.
En cette année anniversaire, tandis que la PMA pour toutes est en route, le trio s'est appliqué à livrer l'Incroyable histoire du pacs (1), très loin d'une promenade de santé… Entretien avec Patrick Bloche, 63 ans, ancien maire du XIe arrondissement et ex-député de Paris aujourd'hui adjoint à la maire de Paris, Jean-Pierre Michel, 81 ans, ancien député puis sénateur de la Haute-Saône, et Denis Quinqueton, 53 ans, codirecteur de l'Observatoire LGBT + de la Fondation Jean-Jaurès. Et souvenirs, souvenirs autour de ce fameux contrat adopté par une France précurseure (cinquième pays de l'UE à s'en doter) quand elle a tant traîné les pieds sur le mariage pour tous.
Vingt ans après sa création, le pacs n’a-t-il pas pris quelques rides ?
Patrick Bloche : Pas du tout. Ce qui me frappe au contraire, c'est à quel point ce cadre juridique est un moyen toujours terriblement moderne d'organiser sa vie commune. Le mariage pour tous ne l'a en rien ringardisé, ni freiné. Pour l'heure, nous n'avons que les chiffres de 2017 du nombre de pacsés. Grosso modo, il y a quatre pacs pour cinq mariages. Mais les courbes ne cessent de se rapprocher, et peut-être qu'à l'heure où nous parlons, il y a autant de pacs que de mariages. En tout cas, pour 2019, les projections de la mairie du XIe arrondissement de Paris annoncent 900 pacs pour 600 mariages…
Jean-Pierre Michel : Oui, mais le XIe arrondissement, c'est un peu la place Saint-Pierre du pacs…
P.B. : Exact, c'est là qu'il est né intellectuellement. Ce qui est aussi frappant aujourd'hui, c'est que la proportion de couples homo et hétéro est exactement la même pour le mariage et le pacs : 93 % d'hétéros, 7 % d'homos.
Comment expliquer ce pouvoir d’attraction qui ne mollit pas ?
Denis Quinqueton : Je crois que son grand atout est de ne pas avoir «collaboré» au patriarcat. Le pacs, à la différence du mariage, n'a aucune tradition d'inégalité entre les membres du couple. Il a été conçu au départ pour tous les couples. Les membres y étaient forcément égaux. Les jeunes générations apprécient de ne pas rentrer dans le cadre socialement connoté qu'est le mariage.
Sur quel terreau le pacs a-t-il poussé ?
D.Q. : Au début des années 90, c'est le sida qui a fait émerger la nécessité pour les couples de s'organiser en dehors du mariage. Et notamment d'éviter des drames, quand le survivant d'un couple était mis à la porte par la belle-famille. Mais il y avait aussi des questions sociales : la CMU, à l'époque, n'existait pas. Autre facteur qui a poussé au pacs. Dans les années 90, cela faisait déjà dix ou quinze ans que le mariage faisait vieillot et que nombre de Français vivaient «à la colle», comme on disait alors.
P.B. : Il a aussi été porté par un mouvement de fond. A compter du moment où l'homosexualité a été dépénalisée par François Mitterrand en 1982, il y a été question de faire tomber les discriminations une à une. Il s'agissait de faire des homosexuels des individus à part entière. On était dans une dynamique où l'on passait de la tolérance à la reconnaissance. Le sida a précipité les choses.
A qui doit-on vraiment sa naissance, dans le XIe arrondissement, donc ?
D.Q. : Le CUC, la première mouture du pacs, a été inventé en tant que concept en 1991, par Jan-Paul Pouliquen, qui a présidé l'association Homosexualités et socialisme (HES), et le juriste militant Gérard Bach-Ignasse, qui ont été rejoints par d'autres. Puis, en 1992, s'est vraiment créé un collectif pour le pacs.
P.B. : Je connaissais Jan-Paul Pouliquen depuis plusieurs années. En 1983, quand des militants socialistes ont créé HES, ils se réunissaient dans le local de la section du PS du XIe, dont j'étais alors le secrétaire. C'est assez logiquement que par la suite nous sommes devenus, avec Jean-Pierre Michel, les relais politiques et parlementaires du CUC, ce contrat inventé par la société civile, loin des soupentes de l'Assemblée et des lambris ministériels.
D.Q. : Il faut préciser que nous étions tous issus du Ceres, l'aile gauche du PS, de Jean-Pierre Chevènement. Un courant un peu à l'ancienne. D'ailleurs, pour Chevènement, le pacs était plutôt un sujet mineur. Nous sommes un peu passés sous les radars.
En 1997, Lionel Jospin devient Premier ministre. Et vous, Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel, êtes députés. Vous allez porter le pacs. Pourquoi vous et non le gouvernement ?
J.-P.M. : Nous en devenons les rapporteurs et les auteurs. Jospin avait inscrit le pacs dans son programme des législatives. Le PS s'était prononcé en sa faveur un an plus tôt. Mais je suis très content que nous ayons pu garder la main sur la proposition. Je me suis battu pour que le pacs soit inscrit dans le code civil, dans la partie droit des personnes, alors que certains voulaient le ranger dans la partie «droit des biens», droit des contrats. Nous avons aussi bataillé pour que le pacs ne soit pas une loi communautariste réservée aux homosexuels, mais une loi républicaine ouverte à tous, alors que des associations familiales, catholiques notamment, ne voulaient pas que d'une certaine façon on mélange les torchons et les serviettes.
P.B. : Et j'ai bagarré pour que la notion de solidarité y figure. C'est Gérard Bach-Ignasse qui a trouvé l'acronyme «pacs». Comme «pax», la paix.
Le texte est présenté à l’Assemblée en première lecture le 9 octobre 1998 et c’est… le fiasco.
D.Q. : J'étais dans le public à l'Assemblée, et j'ai eu l'impression d'assister à l'accident d'une voiture dont on a perdu le contrôle.
J.-P.M. : C'était un vendredi matin. Tout le RPR était là car il prenait ensuite un avion pour assister aux journées parlementaires du groupe à Menton. Mais les rangs du PS étaient plus que clairsemés. Fabius, qui présidait alors l'Assemblée, a fait traîner autant qu'il pouvait. Il a suspendu la séance pour aller déjeuner et annoncé qu'on reprendrait à 15 heures. A notre retour, le groupe socialise avait réussi à faire revenir une dizaine de députés d'Ile-de-France. Mais la droite est restée. Elle a reporté son départ en avion. On est passé au vote et… patatras.
P.B. : On a pris un coup sur la tête. La droite, qui n'était pas encore remise de la dissolution de Chirac et n'avait pas réussi à faire trébucher Jospin, s'est dit : avec le pacs, nous tenons notre affaire. Elle a voté contre et en a fait un grand affrontement droite-gauche. Les médias s'en sont alors saisis. Le paradoxe, c'est que sans cet accident, le pacs aurait été voté un vendredi matin. Avec une gauche tout juste mobilisée. Dans un hémicycle dépeuplé. Et il n'aurait sans doute pas été le succès qu'il est.
Qu’a fait Jospin ?
P.B. : Il fait partie d'une génération d'hommes et de femmes politiques pour qui le champ économique et social est prioritaire. Mais au matin du 9 octobre, c'est devenu une affaire d'Etat. Il est monté en première ligne. Et le pacs est devenu un élément identitaire pour la majorité.
Deuxième round pour le pacs à l’Assemblée le 3 novembre où il va finir par être adopté. C’était rude ?
P.B. : Ça été terriblement long. Le pacs a été un marathon et on a battu des records : quatorze motions de procédure, 2 000 amendements, plus de 132 heures de débat en séance publique dans les deux assemblées… Avec Jean-Pierre, en tant que rapporteurs, nous devions rester dans l'hémicycle. Je n'ai toujours pas oublié les cinq heures et demie d'intervention de la députée UDF Christine Boutin au premier jour de l'examen. C'est d'ailleurs grâce à elle que le règlement de l'Assemblée a été changé un an plus tard : la durée de présentation d'une motion de procédure a été limitée à une heure et demie. Boutin a fait de la politique, mais elle aurait aussi bien pu faire du théâtre comme actrice mélodramatique. Elle a été l'héroïne de la droite, qui a attaqué très fort en première lecture. Mais lors de la troisième lecture, la définitive, elle était complètement lâchée par son groupe, qui voyait bien que dans les sondages le pacs était bien accepté par les Français.
J.-P.M. : Nous avons entendu des horreurs. Les opposants sont allés sur le terrain de la zoophilie avec une facilité monstrueuse. On a quand même entendu des phrases comme «C'est le cirque Pinder», «Pourquoi pas avec son chien», sans compter ceux qui qualifiaient le pacs de «mariage Tampax sans garde-folles»…
Peut-on faire un parallèle avec les débats sur le mariage pour tous ?
P.B. : Le mariage a été voté beaucoup plus rapidement que le pacs, même si la première lecture du mariage a été très longue parce que la droite a fait de l'obstruction, mais les députés de ce bord (certains étaient déjà là lors du pacs) avaient été vaccinés par l'opprobre dont ils avaient fait l'objet après le pacs. Ils ont davantage fait attention à la forme. Pour le mariage, c'est dans la rue, lors des défilés de la Manif pour tous, que l'on a retrouvé des propos d'une violente homophobie, alors qu'il n'y a eu qu'une manifestation contre le pacs.
Vous êtes trois hommes à raconter cette histoire. Où sont les femmes ?
P.B. : J'ai beaucoup fréquenté les mouvements féministes dans les années 70-80. Ils comptaient de nombreuses lesbiennes, très actives, mais avant tout dans la conquête des droits des femmes. Du coup, le mouvement dit LGBT a surtout été porté par des hommes, en outre davantage touchés par le sida.
J.-P.M. : A l'époque, il n'y avait pas autant de femmes députées. Mais à l'Assemblée, elles ont grandement aidé. Catherine Tasca comme présidente de la commission des lois a enclenché une dynamique. Marie-George Buffet et Dominique Voynet sont intervenues de façon très militante. Martine Aubry, qui était au gouvernement, est venue à l'Assemblée…
P.B. : Nous avons vite su avec Jean-Pierre que Roselyne Bachelot, qui était la seule à droite à soutenir le pacs, et Christine Boutin, farouchement opposée, seraient médiatiquement le couple vedette de cette loi. Elles sont d'ailleurs sans doute plus restées dans la mémoire collective que Bloche et Michel…
J.-P.M. : Oui, elles nous ont un peu piqué la vedette… (rires).
(1) Editions Kero, 256 pp., 17,50 euros.