La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre vendredi soir, laissant dans son sillage des réactions éberluées. «Xavier Dupont de Ligonnès a été arrêté en Ecosse», annonce le Parisien à 20 h 40, sans préciser ses sources mais en écrivant, comme le veut l'usage, «selon nos informations». Après une confirmation de l'AFP vingt minutes plus tard, via «une source proche de l'enquête» et sans conditionnel, nombre de médias français, dont Libération, relaient une info saisissante : cet homme de 58 ans, inlassablement traqué depuis qu'on a retrouvé les corps de sa femme et de ses quatre enfants en 2011, serait donc vivant. Huit ans de cavale, de traque et de fausses pistes pour peut-être, enfin, un épilogue.
«Il a été confondu par ses empreintes digitales, recueillies par la police écossaise et qui vont être envoyées en France à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)», précise alors le Parisien. Chaînes de télé et sites d'information lancent les directs et les duplex. Sur les écrans reviennent ces images si familières dans la mémoire collective : celles d'un fugitif au physique banal, avec son air de voisin de palier et ses lunettes rectangulaires. Celles aussi des membres de sa famille, retrouvés ensevelis sous la terrasse de la maison familiale, à Nantes. Les Français se réveilleront avec des unes choc, affichant le célèbre disparu. «Fin de cavale», titrera Presse Océan. «Arrêté», écrira en grosses lettres le Parisien. A Libération, décision est prise vers 21 h 15, dix minutes avant le bouclage, d'enlever à notre tour - comme l'ont fait le Monde ou le Figaro - le conditionnel, et d'insérer un appel de une : «Fin de cavale pour Xavier Dupont de Ligonnès».
Notice rouge
Retour en arrière. Vendredi dans l'après-midi, un homme est arrêté à l'aéroport de Glasgow par la police écossaise. Les autorités françaises, averties, n'ont pu procéder aux vérifications elles-mêmes, leur suspect ayant décollé plus tôt que prévu de Roissy-Charles-de-Gaulle. «L'information selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès était vivant et s'apprêtait à prendre un avion pour Glasgow, avec un billet retour, vient de la police écossaise», affirme le Parisien. Reste à savoir si cet individu âgé d'une soixantaine d'années est bien Xavier Dupont de Ligonnès. Il ne lui ressemble pas mais, après tout, il a pu changer d'apparence physique. Ses empreintes sont alors comparées avec celles figurant sur la notice rouge émise par Interpol pour rechercher Xavier Dupont de Ligonnès : elles ressemblent à celles du fugitif nantais.
Néanmoins, afin de s'assurer de l'identité de l'homme en garde à vue, il est nécessaire de procéder à des examens complémentaires : des enquêteurs français de la Brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF) s'envoleront le lendemain matin pour Glasgow. De son côté, le porte-parole de la police écossaise communique très sobrement un peu avant 23 heures, se refusant à valider la présence de Xavier Dupont de Ligonnès dans les locaux : «Vendredi, un homme a été arrêté à l'aéroport de Glasgow et placé en garde à vue, en lien avec un mandat d'arrêt français. Des investigations se poursuivent pour confirmer son identité.»
Pendant ce temps, dans une petite commune des Yvelines, les enquêteurs français sont à pied d'œuvre, comme l'annonce l'AFP à 23 h 32. Le passeport du voyageur-mystère étant au nom de Guy J., ils se sont rendus à l'adresse indiquée sur le document, un pavillon à Limay. Mais alors que la perquisition se termine, les déclarations du procureur de la République de Nantes, vers 0 h 30, marquent un premier tournant et sèment le doute. Auprès de l'AFP, Pierre Sennès invite en effet à la «prudence» : «Samedi, il y a des équipes d'enquêteurs du service national de recherche des fugitifs et de la police judiciaire de Nantes qui vont se rendre en Ecosse. Ils vont donc faire des vérifications auprès de la personne qui a été arrêtée à l'aéroport de Glasgow pour s'assurer que c'est bien M. Dupont de Ligonnès.» Autrement dit, le suspect n'a pas été «confondu», puisque les vérifications ne sont pas faites.
Fragile
Tard dans la nuit, Europe 1 et France Info recueillent le témoignage d'un habitant du quartier. Jacques, 62 ans, soutient que son voisin n'a vraiment rien de l'auteur du quintuple assassinat : «Vendredi matin, il a pris l'avion, comme il fait d'habitude. Il rentrait en Ecosse, sa femme l'attendait à Glasgow. On l'a eu tout à l'heure au téléphone, et elle a dit : "Voilà, ils l'ont arrêté, je n'ai pas plus de nouvelles." […] Ça fait trente ans que je le connais, ce mec-là, c'était un ami. J'ai été à son mariage en Ecosse.» De quoi laisser perplexes les enquêteurs.
Samedi matin, la nouvelle sensationnelle apparaît donc de plus en plus fragile. La presse saupoudre ses titres de conditionnel et rétropédale doucement. A 10 h 50 tombe une dépêche AFP urgente : «Doute sur l'identité de l'homme arrêté à Glasgow (source proche enquête)». En fin de matinée, BFM TV révèle que les empreintes digitales de Guy J. et celles de Xavier Dupont de Ligonnès «ne correspondent que très partiellement».
Plus les minutes passent et plus il semble probable que cet homme «méconnaissable», entre les mains de la police écossaise, ne soit qu'un paisible retraité vivant dans un pavillon d'Ile-de-France et aspirant à rejoindre son épouse. Quand les résultats des tests ADN tombent à 12 h 55, ils confirment ce que tout le monde pressentait : «L'homme arrêté à Glasgow n'est pas Dupont de Ligonnès», comme l'écrivent toutes les rédactions après seize heures d'emballement.