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à vendre

Saint-Gobain veut lâcher Lapeyre

Le géant des matériaux de construction a décidé de vendre son enseigne d'aménagement en perte de vitesse. Un repli qui illustre la concurrence féroce que se livrent Leroy-Merlin, Castorama et d'autres pour attirer le bricoleur du dimanche.
Le logo Saint-Gobain au salon Actionaria à Paris en 2017. (ERIC PIERMONT/Photo Eric Piermont. AFP)
publié le 14 octobre 2019 à 14h41

Quand Lapeyre & Fils a ouvert son premier magasin en 1931, la société de consommation n'en était qu'à ses balbutiements, et le bricoleur du dimanche n'allait pas chercher midi à 14 heures pour refaire sa cuisine ou sa salle de bain. Aujourd'hui, les enseignes de bricolage et d'ameublement se bousculent et sont à couteaux tirés aux portes des grandes villes, sans parler de la concurrence impitoyable d'Ikea et d'Internet. Bilan des courses : le britannique Kingfisher vient d'annoncer 736 suppressions de postes chez Castorama en France, Leroy-Merlin met la pression sur ses équipes, et Saint-Gobain met en vente Lapeyre.

Saint-Gobain en plein recentrage sur son cœur de métier

Le 25 septembre, les syndicats de l'enseigne ont en effet été officiellement informés par la direction que le processus de cession de Lapeyre était engagé, a révélé Europe 1 ce lundi matin. Information confirmée sans trop se faire prier par l'actuel propriétaire : «Nous sommes effectivement à la recherche d'un partenaire pour tout ou partie du périmètre de Lapeyre», a déclaré une porte-parole à Libération. Et d'ajouter : «Le plan que nous avons mis en œuvre en 2016 pour relancer Lapeyre a permis de stabiliser la chute des ventes et de regagner des parts de marché, mais Saint-Gobain n'a pas vocation à rester actionnaire majoritaire de l'enseigne.»

Et pour cause, Lapeyre, qui compte 126 magasins, 11 usines et emploie 4 100 salariés dans l'Hexagone, va plutôt mal : le chiffre d'affaires qui pointait à 800 millions d'euros au début de la décennie a plongé à 567 millions en 2017 et sans doute moins en 2018 (non publié). Et l'entreprise perd de l'argent : 67 millions d'euros rien qu'en 2017. De fait, Lapeyre n'a pas su coller aux dernières tendances déco, et sa clientèle a vieilli. De son côté, Saint-Gobain, qui avait racheté l'enseigne en 1996 en plein boom du bricolage, est en cours de recentrage sur son cœur de métier : la production de matériaux de construction et de verres innovants, où la rentabilité est bien plus élevée. Le géant du CAC 40 (41 milliards d'euros de chiffre d'affaires) a lancé un vaste programme de cession d'actifs de 3 milliards d'euros qui l'a vu récemment se défaire du spécialiste de la vente de fenêtres à domicile K par K. Saint-Gobain «donne la priorité au marché des professionnels du BTP avec ses magasins Point P et n'a plus vraiment vocation à rester à la tête d'un réseau de magasins B2C [«business to consumer», des entreprises aux particuliers, ndlr]», explique sa porte-parole.

La vente s’annonce difficile

Le groupe dirigé par Pierre-André de Chalendar cherche aussi à se défaire depuis plusieurs mois de Pont-à-Mousson, vieux fleuron lorrain de la sidérurgie connu pour ses canalisations et plaques d'égout. Mais Saint-Gobain peine à trouver preneur, même en restant au capital. Le métier de Lapeyre, historiquement spécialisé dans les portes, fenêtres, meubles de cuisine et salles de bain, n'a rien à voir avec la fonte. Mais la vente s'annonce tout aussi difficile car les investisseurs prêts à miser sur la distribution physique ne sont plus légion à l'heure où Amazon et les discounters en ligne massacrent les prix et les marges. Interrogé par Europe 1, Hervé Grillon, délégué syndical CGT de Lapeyre, pointe deux risques majeurs : soit un requin rachète «pour faire du bénéfice», soit il n'y a pas d'acheteur. Et dans les deux cas, ce sont les salariés qui risquent de «payer la casse sociale».

De son côté, la direction de Saint-Gobain se veut rassurante : «Nous en sommes encore à une phase exploratoire dans la recherche d'un repreneur. On prendra le temps qu'il faut pour trouver la meilleure solution.» Les salariés, eux, ont de quoi être inquiets après les licenciements et fermetures de magasins annoncés chez le concurrent Castorama.