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Fiscalité : les très pauvres, toujours pas gagnants sous Macron

Selon une étude de l'Institut des politiques publiques, les mesures prises en 2019 pour calmer la colère des gilets jaunes et la baisse de l'impôt sur le revenu à venir en 2020 rééquilibrent la balance des très riches vers l'ensemble de la classe moyenne. Mais le bas de l'échelle ne profite toujours pas des réformes fiscales du gouvernement.
publié le 15 octobre 2019 à 13h13

Ses opposants auront peut-être plus de mal à le taxer de «président des riches». En revanche, ils pourront toujours déplorer qu'Emmanuel Macron n'ait encore rien fait pour améliorer la condition des Français les plus pauvres depuis son accession à l'Elysée. C'est en tout cas ce qui ressort de la nouvelle étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) de l'Ecole d'économie de Paris, qui s'est penché sur «les impacts du budget 2020 sur les ménages et les entreprises». Si le gouvernement, en un an, a largement rééquilibré sa politique économique en faveur des classes moyennes (de celles situées au niveau du Smic jusqu'aux hauts revenus) pour en faire aujourd'hui les grandes gagnantes de son quinquennat avec un revenu disponible en hausse de 3%, les contribuables situés tout en bas de l'échelle (les très pauvres) sont les seuls à ne pas avoir vu, depuis trois ans, leur pouvoir d'achat augmenter. «Il y a eu des mesures de compensation, sinon ils seraient vraiment perdants mais pas de vrais gains», souligne Antoine Bozio, directeur de l'IPP.

Le gouvernement a bien lancé une «stratégie nationale» de lutte contre la pauvreté en septembre 2018, mais lorsqu'il s'agit d'inscrire dans le budget des mesures sociofiscales pour améliorer leur condition, c'est plus compliqué. Seuls les Français situés entre les 7% et les 10% bénéficient clairement de la hausse du minimum vieillesse que le gouvernement porte en 2020 à plus de 900 euros. En dessous de ce 7e «centile» de population, le revenu disponible stagne, voire baisse selon l'IPP. «Je vais aller vendre des cierges dans l'hémicycleBeaucoup prient pour que Esther Duflo ne retweete pas cette étude», se désole-t-on dans le camp des marcheurs à l'Assemblée en plein examen du budget 2020 depuis lundi. L'économiste française a obtenu lundi le prix «Nobel» d'économie pour ses études sur… la pauvreté.

Rééquilibrage vers les classes moyennes

Si cette catégorie de la population n'a pas été touchée en début de quinquennat par la hausse de la CSG en 2018 ou n'est plus concernée par le quasi-gel des pensions de retraite, elle a subi de plein fouet la baisse des allocations logement, toujours désindexées comme certaines autres prestations sociales ou encore la hausse de la fiscalité du tabac et, en 2018, celle de la fiscalité sur les carburants (gelée depuis la mobilisation des gilets jaunes). «Ce premier décile est très touché par les taxations indirectes, fait remarquer Antoine Bozio. En réalité, si ce décile a tout de même profité de l'augmentation des prestations sociales, cela a tout juste permis de compenser le reste.» Et ce que le gouvernement présente d'ordinaire comme une mesure à destination des «plus modestes» (hausse de la prime d'activité) touche en réalité des personnes situées au-delà des 10% les plus pauvres.

Parce qu'elle a très peu de revenus, cette catégorie de la population ne bénéficiera absolument pas de la baisse d'impôt annoncée pour le 1er janvier 2020. Un cadeau fiscal de 5 milliards d'euros à destination de la classe moyenne traditionnelle… et supérieure. Selon l'étude de l'IPP, les deux derniers déciles, jusqu'ici classés parmi les «perdants» de la politique sociofiscale du gouvernement (mis à part les 3% les plus riches du pays qui eux bénéficient à plein depuis 2017 de la réforme de la fiscalité du capital), vont, en 2020, clairement faire désormais partie des gagnants du quinquennat. Certes, la baisse de l'impôt sur le revenu que la majorité s'apprête à adopter à l'Assemblée cible essentiellement la première tranche de l'impôt sur le revenu, mais elle profitera aussi aux contribuables situés dans la deuxième tranche (celle à 30%), soit des revenus allant jusqu'à près de 74 000 euros annuels pour une personne seule. «Cette réforme bénéficie aux personnes situées au-delà du revenu médian et malgré la "neutralisation" sur la troisième et quatrième tranche, elle va avoir un effet positif pour des personnes situées dans le dernier décile dans lequel, il faut le rappeler, on retrouve des niveaux de revenus extrêmement différents», souligne Antoine Bozio. Et encore, les 20% des Français les plus aisés ne bénéficient pas (encore) de la suppression de la taxe d'habitation qui, pour eux, débutera en 2021.

Les très riches, eux, ne perdent rien

Au global, cette nouvelle étude de l’IPP confirme que, sous la pression sociale, le gouvernement a dû rééquilibrer sa politique en faveur des classes moyennes : dans un premier temps (fin 2019) pour cibler la petite classe moyenne sortie sur les ronds-points (plus d’augmentation de fiscalité carbone, accélération de la hausse de la prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires pour les salariés…) et, dans un second temps, pour viser les contribuables situés au cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron en 2017, avec une très large baisse de l’impôt sur le revenu.

Alors que les Français situés entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches étaient, en début de quinquennat, soit perdants soit peinaient à voir leur revenu disponible augmenter, ils verront ce dernier, en 2020, bondir de 3%. En dessous, les Français situés entre les 10% et les 20% les plus pauvres verront ce pouvoir d'achat augmenter de 1% à 2%. Pour ceux du haut de l'échelle (entre les 20% et les 3% les plus riches), ce sera +1%. Et les ultra-riches ? Ce rééquilibrage ne leur enlève absolument rien. Bien au contraire, ils bénéficient à fond de la réforme de la fiscalité du capital (notamment la mise en place d'une flat-tax à 30% sur ces types de revenus) : les contribuables situés dans le dernier centile (les 1% des Français les plus riches) affichent un revenu disponible en hausse de 2% en 2020. Soit, en valeur absolue, un gain de près de 4 500 euros dont on ne sait toujours pas s'il sera réinvesti dans les «investissements productifs» comme l'avait souhaité l'exécutif lors de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la création de cette flat-tax sur les revenus du capital. Commentaire désolé au sein du groupe LREM : «Allons, il y a des premiers de cordées… C'est juste que la corde est trop longue et que ça met du temps à tirer vers le haut.»