On croit que c’est tout simple, qu’il suffit de s’aimer et l’enfant naît.
J’ai longtemps cru qu’il suffisait d’être deux
titrent ainsi la journaliste Elise Karlin et la gynécologue-osbtétricienne Sylvie Epelboin dans un joli livre à deux voix. Parfois bien sûr, un petit coup de main de la médecine est nécessaire pour y parvenir.
Mais voilà, parfois aussi cela ne marche pas, cela échappe à toute logique. En ces temps de propos définitifs autour de la révision des lois sur la bioéthique avec des postures péremptoires des différents acteurs sur la procréation médicale assistée (PMA), ce récit donne un sentiment de liberté et de modestie. La vie est ainsi qui peut vous échapper. «En juillet 1995, j'épouse Simon, j'aurais rêvé d'être enceinte à la mairie, preuve éclatante d'une fécondité joyeuse et souriante», écrit Elise. «Il existe peu de situations en médecine, poursuit la Dr Epelboin, où ce que l'on appelle le colloque singulier "médecin patient" se transforme en une relation triangulaire, une situation où l'intimité des histoires de vie et des corps se dévoile en présence d'un témoin. En temps normal, le secret médical engage deux personnes. En consultation de PMA, la relation va se construire à trois… Homme et femme s'adressent parfois au médecin sans se regarder, pour exprimer ce qu'ils ne réussissent pas à se dire directement.»
«Je prends l’habitude d’éluder»
On a compris, Elise n’arrive pas à avoir d’enfant. Elle se lance, avec son mari, dans une aventure aussi intime que fragile, où la médecine s’impose. Rien est simple. Elle découvre que le médecin de sa mère lui a prescrit à l’époque du Distilbène, mais il refuse de le reconnaître. Puis c’est la peur, la culpabilité, la colère, et il faut affronter ses situations où l’on ne comprend rien. Heureusement, il y a la belle amie Judith, toujours là. Et Simon qui se plie à toutes les contraintes pour que cette satanée PMA marche.
Et cela ne marche pas. Aucune raison biologique ne peut expliquer ces échecs successifs. «Combien de fois des amies m'interrogent-elles sur ce qui ne va pas, raconte Elise. Je prends l'habitude d'éluder, personne n'a envie de savoir précisément comment on fait un enfant. Personne n'a envie de s'entendre expliquer par le menu le mystère originel, les secrets de la conception, l'insémination artificielle, le passage du col de l'utérus, la stimulation de l'ovulation.» Ou encore : «Au départ 17 ovules, 17 possibilités. A l'arrivée rien. Les spermatozoïdes de Simon et mes ovules sont incompatibles, le laboratoire poursuit les tests pour identifier les responsabilités.» Tout est dit, ou presque. Un coupable ? «En attendant, c'est terminé, je me mure dans un cri qui me déchire de l'intérieur, pas d'embryon, pas de bébé, pas d'avenir. Je sombre sans une larme.»
«Expliquer notre impuissance»
Parfois, on se dit que l'on aimerait ne pas être là chez le docteur, ne pas écouter ces mots, la médecine peut être si impudique, et si froide. «Pour notre dixième essai, vous me réimplantez deux embryons congelés.» Plus tard, ses mots en écho du Dr Epelboin : «En médecine, dire oui est beaucoup plus simple que répondre non. Oui, je vais vous soigner, oui j'ai un traitement approprié, oui j'ai le pouvoir de vous aider à faire un enfant… C'est plaisant et valorisant. En revanche, expliquer notre impuissance, assumer l'absence de résultats, c'est beaucoup moins enseigné dans la formation, c'est aussi pour le soignant un échec.»
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Elise va quitter Simon, et rencontrer un nouveau compagnon. «Je suis usée par les traitements, par les vaines espérances, par ce combat sans issue.» Puis : «Tout à ma nouvelle vie, je vous oublie, Sylvie, je ne vous dis rien de ma séparation d'avec Simon, j'ai fini avec les traitements, les échecs, l'obsession d'être mère. Je fais le deuil de ma fertilité.» La suite ? Elise tombera enceinte sans prévenir, aura deux enfants, la médecine lui permettant néanmoins de mener à bien ces grossesses, souvent délicates pour les jeunes filles dont la mère a pris du Distilbène. De ce joli récit, certains tireront une morale. On peut simplement le lire avec douceur, comme une histoire que l'on vous raconte où la place de chacun est toujours bien singulière.