Sur le parvis du tribunal de Paris, c'est au compte-gouttes que sont arrivés les jeunes militants écologistes du mouvement Action non-violente COP 21, ce mercredi matin. Agés de 23 à 36 ans, ils sont accusés de «vol en réunion» pour avoir décroché trois portraits d'Emmanuel Macron dans plusieurs mairies de Paris, les 21 et 28 février. Entre quelques accolades amicales, ils évoquent l'absence d'une des prévenues, une photojournaliste partie en Amérique du Sud pour participer au projet Humans & Climate Change Stories. S'ils disent ne pas être stressés, ils ne se prononcent pas pour autant sur le verdict. «Ce n'est pas une décision facile à prendre pour la présidente du tribunal, admet Emma Chevallier, une des prévenues. Ça demande beaucoup de courage.» Mais après la décision de relaxe des «décrocheurs» de Lyon, le 16 septembre, tous les espoirs restent encore permis.
Pourtant, il a suffi de quelques secondes pour faire retomber l'emballement provoqué par cette «décision historique», comme l'avait alors qualifié l'Action non-violente COP 21. Si le journaliste Vincent Verzat, inquiété pour avoir filmé la scène, est relaxé, les autres prévenus sont condamnés chacun à 500 euros d'amende sans sursis. Il s'agit de la peine la plus élevée, jusqu'à présent, prononcée contre des décrocheurs de portraits. «Une sanction lourde, non pas par rapport à ce qu'ils risquaient, mais par rapport à leurs intentions», se désole l'avocat des activistes, Me Alexandre Faro.
«Pas à la hauteur de la situation»
L'action de désobéissance civile menée par les huit prévenus s'inscrit dans la campagne #DécrochonsMacron, qui vise à dénoncer «l'inaction politique» et les «mensonges» des pouvoirs publics face à l'urgence climatique. «On considère que notre action est légitime pour sonner l'alarme auprès du gouvernement qui, a contrario, ne respecte pas ses propres lois, notamment l'accord de Paris ou la stratégie bas carbone», s'indigne un des militants, Etienne Coubard. Selon un rapport du Haut Conseil pour le climat, publié en juillet, la France ne sera pas en mesure de respecter ses engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l'objectif de parvenir à la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pourtant, la sentence ne semble pas vraiment étonner le militant de 25 ans : «On savait que ce serait difficile, mais la décision n'est vraiment pas à la hauteur de la situation et de la question de démocratie que cela pose.»
La présidente n'a pas retenu le critère d'«état de nécessité», qui légitime une action illégale pour empêcher la réalisation d'un dommage plus grave. Pourtant, il n'y a «plus d'autres moyens possibles de dialogue avec le gouvernement, en dehors des élections», affirme Pauline Boyer, une des militantes condamnées. La jeune femme était consciente des risques de poursuites judiciaires avant de décrocher le portrait du chef de l'Etat, et savait qu'une condamnation pourrait l'empêcher d'exercer le métier de pharmacienne, sa formation initiale. «Le tribunal ne veut pas entendre parler de nécessité. Pourtant, la désobéissance civile intervient quand tout le reste a échoué pour éveiller les consciences et faire bouger les lignes. Les voies de protestation habituelles ne suffisent plus», insiste son avocat.
Etienne Coubard l'assure : l'Action non-violente COP 21 a multiplié les formes d'action pour tenter de se faire entendre (marches, manifestations, pétitions…). La désobéissance est selon lui un «outil démocratique» désormais indispensable face à l'urgence climatique, dont l'impact se fait déjà ressentir en France et dans le monde. Le tribunal a pourtant considéré que le fait de décrocher des portraits du Président n'avait pas d'effet immédiat pour lutter contre le dérèglement climatique. «C'est symbolique, souligne Pauline Boyer, on continue d'agir comme s'il n'y avait pas d'urgence politique et écologique, et comme si notre action n'était pas nécessaire pour pousser les pouvoirs publics à prendre des mesures utiles.»
«La récréation est finie»
Au sein même de la magistrature, l'utilisation du critère de «l'état de nécessité» fait débat. Alors que le juge, Marc-Emmanuel Gounot, a retenu, à propos des décrocheurs de Lyon, le «motif légitime» de ces actions de désobéissance civile, à Orléans, les militants ont été condamnés à 200 euros d'amende avec sursis, et 500 euros d'amende avec sursis à Bourg-en-Bresse. «Il n'y a pas un seul jugement similaire, la justice ne s'accorde pas sur la situation», résume Me Alexandre Faro. D'ailleurs, pour lui, la décision de ce mercredi se place «clairement en réaction à celle de Lyon» : «Le tribunal de Paris a décidé de donner le "la", et de montrer que la récréation est finie.» Alors que les deux militants relaxés à Lyon passent en appel le 19 décembre, l'avocat du collectif voit dans la rapidité de cette procédure une volonté d'«effacer» le jugement qui avait donné tant d'espoir aux activistes. Pour l'activiste Pauline Boyer, la condamnation vient «mettre un coup d'arrêt à l'emballement médiatique autour de la relaxe à Lyon et des actions de désobéissance civile». Des méthodes qui font tache d'huile et sont notamment défendues par les militants du mouvement Extinction Rebellion, qui viennent d'occuper pacifiquement la place du Châtelet, à Paris.
Les militants condamnés n'entendent pas en rester là et vont faire appel de cette décision. «On ne va rien lâcher, on va continuer à mener des actions et lancer des appels pour des manifestations encore plus importantes», affirme Etienne Coubard.
Condamné.e.s pour avoir dénoncé le décrochage de M.@EmmanuelMacron de l'#AccordDeParis en décrochant son portrait des mairies de #Paris --> le tribunal se trompe de coupables : RDV en cour d'appel ! Pour nous soutenir c'est par ici https://t.co/YcRydCEZPA pic.twitter.com/LZhlh53j0Q
— Pauline Boyer (@Pauline_Boyer_) October 16, 2019