Toulouse : une gauche à l’ancienne, l’autre citoyenne
Ici les gauches voient double et cela fait enrager Pierre Cohen. Pour l'ex-maire PS (2008-2014), deux listes à gauche, c'est la meilleure façon de louper le coche dans une ville pourtant gagnable. Cohen, qui a quitté le PS pour rejoindre Génération·s, le parti de Benoît Hamon, n'a pas renoncé à prendre sa revanche face au maire LR Jean-Luc Moudenc. En 2014, la gauche s'était éparpillée sur trois listes et il avait perdu de 6 000 voix. L'ancien édile a appris la leçon : avec les membres de Génération·s Toulouse et la Gauche républicaine et socialiste (GRS), le petit parti des ex-PS Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, ils ont lancé fin septembre un ultime appel à l'union : «Personne n'a les atouts et les aptitudes pour mener seul la gauche à la victoire. Aucun parti de gauche ne peut prétendre à s'imposer.» Las, l'offensive fédératrice a capoté quand le chef de file des élus communistes, qui soutenait jusqu'à présent les efforts de Cohen, a rallié la liste PS dans l'espoir de sauver ses trois sièges au conseil municipal.
On s'achemine donc vers une union de la gauche à l'ancienne, sous l'égide du PS, et une alliance de gauche citoyenne. Ceux qui contestent l'hégémonie socialiste se retrouvent en effet au sein d'une offre «rouge-verte» inédite. Pour éviter la bataille des logos comme celle des egos, un petit collectif s'est constitué à bas bruit depuis deux ans pour proposer une alternative aux partis traditionnels. Sous l'étiquette «Archipel citoyen», la démarche s'inspire tout autant de Podemos en Espagne que du «municipalisme» expérimenté à Grenoble dès les années 70. La mayonnaise citoyenne, qui pouvait sembler utopique au départ avec son système compliqué de sélection des candidats par tirage au sort et «plébiscites» sur Internet, semble prendre depuis qu'EE-LV puis LFI ont rejoint le mouvement. Les deux formations ont proposé 12 candidats, qui sont passés samedi devant un «jury citoyen» pour espérer figurer sur la liste des 69 candidats municipaux. Romain Cujives, un temps candidat à l'investiture socialiste, a aussi rejoint Archipel et quelques candidats se réclament des gilets jaunes.
Cet attelage de militants politiques chevronnés et de citoyens non encartés peut-il voler en éclats lors de la désignation de la tête de liste jusqu’ici habilement repoussée ? C’est l’espoir secret de Nadia Pellefigue, tête de liste socialiste, qui a elle aussi fait mine de constituer une liste «citoyenne» en dehors du parti. En dépit du soutien des barons du PS, qui tiennent le département et la région, la conseillère régionale n’ignore pas qu’elle court le risque d’être distancée par l’Archipel. Des sondages sous le manteau attribuent jusqu’à 30 % des voix à cette «nouvelle gauche» à la sauce toulousaine qui n’est pas sans rappeler la liste des Motivés constituée en 2001. Sauf que cette fois, le PS est loin d’être favori.
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Strasbourg : tentatives partout, entente nulle part
Sur le principe, tout le monde s'accorde. Il s'agit de se rassembler à gauche pour mettre en échec le grand favori, le premier adjoint représentant de la macronie fraîchement déclaré candidat, Alain Fontanel, pour l'heure sans étiquette officielle LREM. Sur le casting, tout le monde se déchire. Première à s'être lancée dans la course à la succession du maire socialiste Roland Ries, dans une sorte de qui m'aime me suive, la liste «Strasbourg écolo et citoyenne». Le message est simple : le rassemblement, c'est eux. Pas de parti, pas d'appareil, mais du citoyen, du renouveau… Voilà pour la bannière. «On veut être dans la coconstruction permanente, susciter des vocations, en finir avec le schéma de l'élu de métier masculin», explique Guillaume Libsig, un des artisans du mouvement.
Le 5 octobre, Jeanne Barseghian, 38 ans, seule candidate à se présenter devant l'assemblée citoyenne, a été désignée pour conduire la liste. Par 108 votants. Voilà pour la vague. Et si son profil est séduisant, elle n'est pas tout à fait une inconnue : élue EE-LV, conseillère de l'Eurométropole déléguée à l'économie sociale et solidaire. Les autres viennent du milieu associatif, essentiellement du Labo citoyen, dont Syamak Agha Babaei, vice-président de l'Eurométropole, ainsi que le responsable du mouvement Place publique, Alexandre Feltz, par ailleurs adjoint à la santé. «On a été invité à des réunions avec les différentes forces de gauche, les partis. Mais après ces rencontres, on s'est rendu compte qu'on n'allait pas forcément être copains», dit Guillaume Libsig. D'autant que la liste de rassemblement a posé ses conditions : «Pas d'alliance avec le PS, pas d'alliance avec des personnes LREM-compatibles», poursuit-il. Une pique dirigée vers les porte-drapeaux de Génération·s, les adjoints Paul Meyer et Jean-Baptiste Gernet. Ces jeunes hamonistes, qui n'ont jamais caché leurs ambitions pour 2020, ont comme disparu du paysage. Génération·s, au niveau national, n'a plus de nouvelles depuis les européennes : ils sont devenus «ingérables», «le mouvement va les shunter». Paul Meyer, tout en circonvolutions, confirme s'être «coupé» du parti. Reste à se recaser. Il regarde du côté de LFI, qui réfléchit aussi à une liste citoyenne. «Le problème, c'est qu'ils sont aussi insoumis entre eux», souffle un écolo. Si LFI ne donne pas suite, Meyer assure qu'il pourrait «y aller seul», «jusqu'au bout», misant sur sa propre popularité. Dans les prochains jours, il va mettre ses beaux habits pour aller au bal des alliances. «Il peut y avoir des surprises sur les mains tendues», prévient-il. Il n'exclut d'ailleurs pas celle du candidat macroniste. Voilà pour l'appel du pied.
Côté socialistes, le président de l'Eurométropole, Robert Herrmann, 64 ans, qui a annoncé son retrait de la vie publique en juin, est tenté par un come-back, au nom, bien sûr, de l'intérêt général. Au PS, il s'est aussi murmuré que Roland Ries, 74 ans, deux mandats et victorieux de justesse en 2014, pourrait rempiler. Dimanche, il a signé avec d'autres élus socialistes ou ex-PS un appel dans le JDD en faveur de la constitution d'un pôle gauche de la majorité hors LREM. Autre rumeur d'automne : la vice-présidente de l'Eurométropole et ancienne ministre PS, Catherine Trautmann. «Comme quoi ils sont prêts à ressortir des cadavres pour combler le vide», ricane-t-on chez les écolos.
Les socialistes ont désigné leur candidat : l'adjoint, Mathieu Cahn, 74 voix sur 101 encartés. «Le PS est dans une situation paradoxale, ils se sont tous déchirés, ont piétiné des amitiés de trente ans pour savoir qui allait se prendre une claque», commente-t-on en coulisse. Mathieu Cahn, qui souhaite une «alliance avant le premier tour», a appelé à ouvrir des discussions «sans tarder». Problème : personne ne veut parler avec lui. «Aucune force de gauche n'est capable d'amener la certitude d'être présent au deuxième tour», insiste le socialiste. «Il est en phase de pré-hamonisation», analyse Eric Schultz, conseiller municipal et ex d'EE-LV. Comprendre : «Il va être lâché par tout le monde.» Auteur de tribunes dès le lendemain des européennes pour appeler à l'union de la gauche, Eric Schultz se place en observateur mais voudrait bien en être lui aussi. Où ? Comme les autres, il attend… «Pour l'instant, on ne voit pas de dynamique, c'est inquiétant. Il faut une alternative au scénario LREM présenté comme inéluctable.».
Bordeaux : un accord EE-LV - PS en vue contre la droite
A Bordeaux, la gauche se prend à rêver de faire trembler la droite. Alors que la ville n'a réellement connu que deux maires depuis la fin de la guerre, Chaban-Delmas puis Juppé, la possibilité de ravir la capitale girondine grâce à une union de la gauche entre les écologistes et le PS se précise. Il y a deux mois, Matthieu Rouveyre et Emmanuelle Ajon, tous deux élus socialistes d'opposition et vice-présidents du département, ont été missionnés - avec l'accord des militants locaux - pour trouver un terrain d'entente avec les Verts. L'objectif : créer une liste commune dès le premier tour où le PS serait prêt à laisser la tête de liste au profit des écolos. «C'est notre responsabilité de nous asseoir sur nos egos et de mettre de côté notre querelle politique vieillissante pour réellement avancer ensemble et produire une alternative que les Bordelais attendent», réagit Emmanuelle Ajon.
Les négociations pour la répartition des places devraient arriver à leur terme cette semaine. Portés par l’urgence climatique et surfant sur les bons résultats du parti EE-LV aux européennes en Gironde, les écolos et leur candidat Pierre Hurmic, déclaré depuis septembre, se retrouvent ici en position de force. Un sondage, publié le 9 octobre par le cabinet Elabe, crédite Hurmic de 24,5 % des voix, 30,5 % dans le cas d’une alliance avec le PS. Soit seulement deux points derrière l’héritier juppéiste et maire sortant, Nicolas Florian. De quoi galvaniser les troupes vertes. Thomas Cazenave, le candidat investi par LREM, pointe, lui, à seulement entre 11,5 et 13 %. EE-LV et le PS pourraient toutefois devoir composer avec la liste de l’ex-PS Vincent Feltesse : l’ex-conseiller politique de François Hollande à l’Elysée, candidat en 2014 avec le soutien d’Hurmic, recueillerait 9,5 % des voix.
«Ce sondage vient prouver que la liste écologiste est la seule force propulsive de l'alternance à Bordeaux. Depuis sa publication, nous sommes d'ailleurs très courtisés, notamment par les jeunes, se félicite Pierre Hurmic. Pour la première fois, depuis très longtemps, le maire sortant est en difficulté. On va pouvoir assister à un vrai débat électoral.» Mais l'élu se dit aussi conscient «de ne pas pouvoir gagner seul. L'urgence écologique exige un dépassement des partis».