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Assemblée nationale

Etre «plus utiles» : quand les députés veulent redevenir maires

Fin du cumul des mandats, dévitalisation du Parlement, envie de renouer avec le terrain : de nombreux députés rêvent des municipales, laissant derrière eux la parenthèse Assemblée.
A l'Assemblée nationale. (Sebastien CALVET/Photo Sébastien Calvet pour Libération)
publié le 22 octobre 2019 à 15h39

Heureux qui comme un ancien maire a fait un détour par l'Assemblée nationale… Et puis rêve de revenir à son Ithaque municipal. Contraints par la loi sur le non-cumul des mandats de choisir entre leur siège d'édile et leur fauteuil de député, ils ont signé pour le Palais-Bourbon. Sans avoir fait le deuil de leur hôtel de ville. «Ne plus occuper la fonction de maire d'Alfortville m'a arraché les tripes», réalise Luc Carvounas, député PS du Val-de-Marne depuis 2017. Comme lui, ils sont nombreux à se vivre en amputés du cumul, peinant à faire le deuil de ce «bras qu'on nous a coupé», dixit un élu LR.

A cinq mois des municipales, certains espèrent faire le chemin inverse. Certes, ils ne seront pas nombreux, la plupart ayant tranché ce dilemme aux dernières législatives. A droite ou à gauche, le contexte électoral de 2017 a parfois décidé pour eux. Quant aux marcheurs, souvent néophytes, peu sont concernés. Mais ces quelques tenants du revenez-y municipal sont emblématiques d’une fin du cumul mal digérée par les élus, d’une tentation de repli sur un Aventin ou de la dévitalisation du Parlement, en finissant avec une image d’Epinal qui offrirait plus de lustre au député.

Ces candidats n'ont pas de mots assez fleuris pour faire l'éloge du mandat de maire. Rien de moins qu'un «sacerdoce», «un attachement charnel à la ville», «une passion d'agir», louent-ils, déjà en campagne. Mais alors pourquoi cet aiguillage en 2017 ? Les raisons sont diverses. Certains se sont fait fort de préserver le territoire de la vague En marche. C'est ce qu'assure Luc Carvounas. Quand il a vu la file d'impétrants macronistes lorgner la circonscription, l'alors sénateur s'est présenté pour «installer un cordon sanitaire» autour d'Alfortville, historiquement à gauche, cédant l'écharpe de maire à son premier adjoint. De même pour Valérie Lacroute, députée LR et ancienne maire de Nemours (Seine-et-Marne). «Au parti et localement, on m'a demandé d'y retourner mais ce n'était pas mon choix premier», avoue-t-elle, encore en réflexion pour le scrutin de mars. D'autres ont anticipé les promesses institutionnelles du candidat Macron qui comptait limiter le cumul dans le temps à trois mandats. Maire LR de Molsheim (Bas-Rhin) depuis 1995, Laurent Furst a devancé le couperet.

A l’Assemblée, «un travail plus abstrait»

Mais sur les bancs de l'hémicycle, c'est l'ennui qui gagne. D'autant plus pour la droite qui enchaîne un deuxième mandat dans l'opposition. «Ce n'est vraiment pas drôle, la situation est source de frustration considérable. Macron a transformé l'Assemblée en Chambre de validation de ses décisions», se désole l'Alsacien Furst. «Au moins avec les socialistes, on avait un débat idéologique. Nos amendements n'étaient pas plus votés mais on savait pourquoi, complète Valérie Lacroute. Je suis malheureuse à l'Assemblée, je fais mon travail mais j'y trouve peu de plaisir. Et en circo, on fait surtout de la représentation.» Même petite forme pour Carvounas, qui s'est déclaré mi-octobre candidat à la mairie : «Dans sa pratique du pouvoir, Macron a encore plus mis en lumière l'inutilité du Parlement.»

Dans la majorité, il est délicat de douter ouvertement de son rôle au Parlement et rares sont ceux à avoir délaissé un fief. Député apparenté Modem, Laurent Garcia vante «une expérience précieuse de la mécanique législative» mais pas de nature à le retenir. Maire de Laxou (Meurthe-et-Moselle) de 2008 à 2017, il espère y être réélu et se met sur les rangs pour la métropole du Grand Nancy.

A l'inverse de Laurent Furst, la réforme institutionnelle – pourtant dans les limbes – a joué dans son come-back : «Si on applique la réduction du nombre de parlementaires et la dose de proportionnelle, le département passera de six à trois députés, on n'aura plus la même proximité.» Investi par LREM à Metz, Richard Lioger parle d'un «tropisme pour le local» : «L'Assemblée nationale reste l'épicentre de la vie politique, c'est un travail essentiel mais plus abstrait.» Ancien premier adjoint (PS) ayant rejoint Macron en 2016, il s'est présenté aux législatives pour LREM après le faux bond d'une postulante «mais ce qui m'intéressait, c'est Metz». «Je me réalise plus dans ce mandat, par exemple dans le fait de voir le quartier autour du centre Pompidou sortir de terre. Psychanalytiquement, ça doit être lié à l'idée de laisser une trace !» développe Lioger.

«Des soucis, mais tant de joies»

Cette envie de remettre les mains dans le cambouis de la vraie vie les met tous d'accord. «Si je me présente, j'y perdrais financièrement, je devrais reprendre une activité. Mais sur le terrain, on se sent plus utile», respire Valérie Lacroute. «Maire, c'est peut-être moins prestigieux, on ne papote pas avec les ministres dans l'hémicycle, mais n'est-on pas plus utile ?» demande – et répond – Laurent Furst. Luc Carvounas résume : «C'est de l'intérêt général tous les jours, des soucis, mais tant de joies.» Le socialiste a travaillé en bonne entente avec le maire mais d'autres racontent une succession compliquée – qu'ils n'ont parfois pas facilitée. S'ils sont réélus maires, ils céderont leur siège de député à leur suppléant. Cette fois sans nostalgie.