Un mois après l'incendie de l'usine, «Libération» est retourné à Rouen. Retour en quelques dates sur l'affaire qui inquiète les habitants.
Jeudi 26 septembre
2h40 Une femme compose le «17», le numéro d'urgence de la police, et signale la présence d'une épaisse fumée sur la rive gauche de Rouen.
2h48 Des détonations retentissent sur le site de Lubrizol. Située à 3 km du centre, l'usine a pris feu.
4h30 Un riverain filme l'incendie à 1 km de distance. Flammes et nuages noirs s'envolent vers le nord.
5 heures Policiers et gendarmes font du porte-à-porte à proximité de l'usine : les habitants ne doivent pas quitter leur domicile.
A lire aussi«On a tous respiré cette merde de Lubrizol»
A Rouen, le 26 septembre. Le site Seveso Lubrizol est en feu depuis le milieu de la nuit.
Photo Philippe Lopez AFP
5h47 Message à toutes les unités de police : «Pas de toxicité des fumées hormis quelques irritations de la gorge.»
6h11 Par SMS, la commune du Petit-Quevilly, proche de l'usine, informe ses habitants de l'incendie en cours.
6h40 Nouvelles explosions. En tout, 240 sapeurs-pompiers seront mobilisés ainsi que 90 policiers, et 46 gendarmes.
7 heures Un périmètre de 500 mètres est installé.
8 heures - 8h10 Les 31 sirènes de la ville sont activées. Le préfet n'a pas voulu réveiller la population en pleine nuit. C'est pourtant ce que prévoit le protocole en cas d'accident dans une usine Seveso.
8h20 La préfecture demande aux établissements scolaires de rester fermés. Hic : certains n'ont pas reçu ces consignes tardives et ouvrent. Crèches et maisons de retraite doivent aussi rester confinées.
8h40 Première prise de parole du préfet de Normandie, Pierre-André Durand : «Des analyses complémentaires vont être menées dans la matinée, mais il n'y a pas de toxicité aiguë.» Il évoque toutefois un «risque de pollution de la Seine». Selon le colonel des pompiers Jean-Yves Lagalle, le feu aurait pris dans un entrepôt : «Une nappe liquide enflammée s'écoule, c'est la plus grande difficulté».
A lire aussiLubrizol : deux thèses pour un incendie
9 heures La préfecture demande d'éviter «les déplacements non indispensables».
9h45 Un correspondant de l'AFP sur place décrit une odeur âcre. L'épais nuage est désormais visible à une dizaine de kilomètres autour de Rouen. Il atteindra 22 kilomètres de long et 6 de large.
11 heures L'incendie est «maîtrisé» mais pas «éteint», dit le colonel des pompiers.
11h50 Le parquet de Rouen annonce qu'il n'y a aucun mort ni blessé.
11h57 Urgent de l'AFP : Jacques Chirac est mort. L'attention médiatique se déporte de Rouen vers Paris.
Vers midi Le ministre de l'Intérieur arrive sur zone. Face aux caméras, Christophe Castaner explique que le panache de fumée «comporte en soi des particules et des produits qui peuvent être dangereux pour la santé» mais que «selon les premières analyses, […] il n'y a pas de dangerosité particulière». Cela pourrait être clair mais le ministre ajoute que «toute inhalation présente une part de dangerosité».
Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, arrive sur le site de l’incendie et rencontre les pompiers à côté de l’usine Lubrizol.
Photo SDIS. AFP
14h50 Allocution du ministre : «Il faudra plusieurs jours pour venir totalement à bout» de l'incendie.
15 heures Le Centre d'information du public de la préfecture a déjà reçu 1 200 appels. Rouen pue l'œuf pourri et l'essence.
15h15 Les transports en commun de l'agglomération sont mis à l'arrêt progressivement. Ils reprendront vendredi matin.
15h30 Finalement, le préfet demande à tous les établissements scolaires de rester fermés jusqu'à lundi.
16 heures La CGT demande la «transparence complète sur les risques encourus» et «la liste des produits présents sur la partie du site en feu».
Un homme observe l’épais nuage visible sur une dizaine de kilomètres.
Photo Philippe Lopez. AFP
17h30 «L'incendie est maintenant totalement maîtrisé» rassure la préfecture après quinze heures de lutte contre le feu.
18 heures Ouverture d'une enquête pour déterminer l'origine de l'incendie par le parquet de Rouen.
19 heures Des Rouennais décident de quitter la ville.
Vendredi 27 septembre
A l'aube, le spectaculaire incendie est éteint, indique enfin la préfecture. Dans la matinée, elle demande «de ne pas encombrer les services de secours pour la problématique d'odeur». Sur la Seine, un barrage flottant est installé pour éviter que l'eau de ruissellement chargée d'hydrocarbures ne souille le fleuve. Des rumeurs enflent, le préfet intervient: «Il n'y avait pas de produits radioactifs» sur le site.
Canal entre Lubrizol et la seine, opération de nettoyage.
Photo Martin Colombet pour Libération
Vers 16 heures, 120 pompiers sont toujours mobilisés sur le site. Après Castaner, les ministres de la Santé et de la Transition écologique sont dépêchées sur place. Agnès Buzyn y va franco : «La ville est clairement polluée par les suies.». Elisabeth Borne modère : il n'y a «pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués». Côté politique, la gauche se mobilise: EE-LV, LFI et le PCF réclament la transparence sur les causes de l'incendie et les produits qui ont brûlé.
Les pompiers luttent depuis la veille contre l’incendie de l’usine Lubrizol.
Photo Yacine Moufaddal SDIS. AFP
Samedi 28 septembre
Le préfet évoque une «catastrophe majeure» et enchaîne les communiqués. En fin de soirée, annonce : «Les résultats sur les composés organiques volatils […] font apparaître un état habituel de la qualité de l'air […], à l'exception du site de Lubrizol (présence de benzène)». Mais «les productions végétales non récoltées ne doivent pas l'être». On ne peut plus utiliser le lait issu de vaches qui étaient au pâturage depuis le jeudi, les œufs des élevages de plein air, le miel et les poissons d'élevage dans la zone concernée. Des syndicats et associations écolos appellent à manifester le mardi pour «une transparence complète».
Dimanche 29 septembre
Le nuage de fumée Chirac se dissipe, les politiques reprennent pied dans la réalité Lubrizol. Edouard Philippe parle enfin après quatre jours de cacophonie : «Pour faire face à l'inquiétude légitime des populations, il n'y a qu'une solution : le sérieux et la transparence complète et totale.»
Le Premier ministre répond aux questions devant l’usine chimique promettant «l’absolue transparence».
Photo Lou Benoist. AFP
Lundi 30 septembre
Des professeurs de trois collèges usent de leur droit de retrait. Des images d'eau de robinet noire enflamment les réseaux, Rouen assure que l'eau «distribuée sur les 71 communes de la métropole est potable». La direction de Lubrizol sort du bois. Selon elle, la «vidéosurveillance» et des «témoins oculaires» suggèrent que l'incendie a pris à «l'extérieur» du site. Le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, promet une indemnisation totale aux agriculteurs affectés. La soirée se conclut par la venue inopinée d'Edouard Philippe à Rouen. Il promet «l'absolue transparence». Planté devant l'usine, le Premier ministre assure que «la qualité de l'air n'est pas en cause».
Les habitants manifestent pour réclamer la vérité sur les effets de l’incendie de l’usine Lubrizol.
Photo Lou Benoist. AFP
Mardi 1er octobre
Quatre écoles de Rouen ferment en raison de la puanteur. On sait désormais que 1 800 exploitants agricoles ont été touchés par les retombées de suie. La pression monte sur l'exécutif. Edouard Philippe parle devant l'Assemblée : les analyses «font apparaître un état habituel de la qualité de l'air». Il annonce la publication de la liste de produits qui ont brûlé pour la fin de l'après-midi. A 20 h 10, enfin, la préfecture s'exécute : 5 253 tonnes de produits chimiques (plus de 3000 références) sont parties en fumée. «Tous les produits ne sont pas dangereux. La dangerosité dépend de la quantité présente, du devenir des molécules après avoir brûlé et de la manière dont on est exposé», est-il précisé. En fin de journée, plusieurs milliers de personnes ont manifesté devant le palais de justice de Rouen. «Lubrizol coupable, l'Etat complice», lit-on sur une banderole.
Mercredi 2 octobre
Agnès Buzyn reconnaît que «personne» ne sait «ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent» mais «des analyses vont se poursuivre.» Edouard Philippe annonce la mise à contribution de l'Ineris (l'Institut national de l'environnement industriel et des risques) et de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail). Plus de cent élus de Seine-Maritime l'ont interpellé dans une lettre lui demandant d'«engager le gouvernement et l'Etat» pour répondre aux «peurs, angoisses et questionnements». Le gouvernement met en place un numéro vert pour répondre aux questions sur les conséquences de l'incendie (0800 009 785).
La ministre française de la Santé et de la Solidarité, Agnès Buzyn.
Photo Lou Benoist. AFP
Jeudi 3 octobre
Emmanuel Macron «est partout, sauf à Rouen», raille Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR.
Vendredi 4 octobre
Le Président rompt un silence de plus d'une semaine. «J'irai bien sûr à Rouen», assure Emmanuel Macron en déplacement en Auvergne, sans plus de précision. Il a suivi «de très près» la catastrophe mais a «considéré que [s]a présence dans ce moment n'était pas la plus utile». Huit jours après l'incendie, la préfecture révèle que plus de 9 000 tonnes de produits ont aussi partiellement brûlé chez Normandie Logistique, l'entreprise voisine de Lubrizol, qui, elle, n'est pas classée Seveso.
Dimanche 6 octobre
Edouard Philippe s'agace dans le JDD : «Nous vivons une époque curieuse où la parole publique, comme celle des experts, est mise en cause.» Selon Buzyn, les analyses sur une éventuelle contamination des produits alimentaires sont «très rassurantes».
Lundi 7 octobre
Le préfet demande à Lubrizol et Normandie Logistique de faire cesser les «odeurs incommodantes». De l'air !
Mardi 8 octobre
Le parquet de Paris annonce le début des investigations sur zone : «La persistance de points chauds sur les sites concernés ne permettait pas jusqu'à présent de procéder aux constatations sur le terrain», justifie le procureur vu ces délais allongés. 130 plaintes ont déjà été déposées par des habitants, entreprises ou communes touchés par les conséquences de la catastrophe. La ministre Elisabeth Borne assure que Lubrizol «devra indemniser» ceux qui ont souffert des conséquences de l'incendie : principe de pollueur-payeur. Dans la soirée, nouvelle manifestation à Rouen. Slogan : «Arrêtez de nous enfumer, on n'est pas des jambons.»
Mercredi 9 octobre
Buzyn explique qu'on a relevé des taux de dioxine dans l'air «plus importants que la normale» mais «en dessous des seuils de toxicité» le jour de l'incendie. «Nous verrons si ces chiffres sont retrouvés sur le long terme», ajoute-t-elle. Pompiers et policiers dénoncent les conditions dans lesquelles ils sont intervenus.
Jeudi 10 octobre
L'Assemblée lance une mission d'information, le Sénat une commission d'enquête. Perquisitions chez Lubrizol et Normandie Logistique pour qui il est «quasi impossible» que l'incendie ait démarré sur son site.
Vendredi 11 octobre
L'incendie a causé aux agriculteurs un préjudice estimé «entre 40 et 50 millions» d'euros, déclare le ministre de l'Agriculture.
Samedi 12 octobre
Un peu plus d'un millier de manifestants défilent l'après-midi à Rouen pour réclamer la «vérité».
A Rouen, le 12 octobre lors d'une manifestation.
Photo Lou Benoist. AFP
Lundi 14 octobre
Le préfet admet que le système d'alerte (les sirènes) s'appuie sur des «outils datés qui devront évoluer». Il révèle que 4 250 tonnes de produits ont brûlé chez Normandie Logistique. Total : 9 505 tonnes. Cependant, selon l'Anses les analyses de lait effectuées après l'incendie «ne montrent pas de dépassement des teneurs maximales réglementaires». Le préfet lève les restrictions sur le lait et l'accès aux pâturages.
Mercredi 16 octobre
Des analyses sur des pompiers présentent des «anomalies mineures ou modérées» sans que cela soit forcément «révélateur d'une intoxication», selon un responsable des pompiers. Les autorités assurent que des prélèvements sur des fruits, légumes et produits d'origine animale présentent des résultats «conformes».
Vendredi 18 octobre
Levée des dernières restrictions de commercialisation de produits agricoles.
Mardi 22 octobre
Le PDG de Lubrizol, Eric Schnur, est entendu par les députés puis les sénateurs. Il promet des fonds d'aide (combien ?) et affirme que le feu n'est pas parti de son usine. Buzyn revient sur les analyses sanguines des pompiers : «Peut-être ont-ils pris des médicaments…» A Rouen, l'évacuation de 160 fûts endommagés commence le lendemain.
Eric Schnur, le PDG de Lubrizol, auditionné au Sénat par la commission d’enquête sur la gestion des conséquences de l’incendie.
Photo Albert Facelly pour Libération
Jeudi 24 octobre
L’origine du feu reste à découvrir. Des associations de riverains demandent des analyses sanguines pour tous.
Vendredi 25 octobre
A Rouen, Edouard Philippe signe les conventions d’indemnisation des agriculteurs et des commerçants.