Les plaintes s'empilent sur le bureau du procureur de la République de Paris, chargé de l'enquête sur l'incendie des entreprises Lubrizol et Normandie Logistique. Près de 200 personnes ont saisi la justice depuis le 26 septembre, date de la catastrophe. Ouverte dès le jour des faits, l'enquête préliminaire pour «destruction involontaire par incendie» et «mise en danger de la vie d'autrui» doit établir les circonstances du sinistre et évaluer les risques pour la santé et l'environnement. L'usine Lubrizol, spécialisée dans la production d'additifs pour lubrifiants de moteurs industriels et de véhicules, est une installation classée Seveso seuil haut. Après plusieurs semaines de travail, les causes précises de l'incendie sont encore floues. Les deux entreprises, séparées par un simple mur, se renvoient la responsabilité.
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Entorses
Les investigations à mener représentent un défi de taille pour les enquêteurs. Car cette procédure requiert une multitude de compétences très spécifiques. Si les nombreuses auditions, qui s'enchaînent actuellement, sont principalement menées par la police judiciaire rouennaise, trois services spécialisés de la gendarmerie sont associés. L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) est chargé de déterminer les éventuelles entorses des deux sociétés à la législation des installations classées. De son côté, l'Institut de recherche criminelle (IRCGN) tente de déterminer les causes et l'origine de l'incendie avec l'appui des gendarmes d'une unité bien particulière, capable d'effectuer des constatations dans un environnement «dégradé», au milieu des fûts calcinés de produits toxiques.
Pour déterminer le point de départ d'un incendie, les enquêteurs sont habituellement à la recherche d'un cône de feu avec d'éventuelles traces de produits inflammables. «Mais là, il s'agit justement d'un incendie d'hydrocarbures, donc les expertises vont être très complexes pour parvenir à déterminer l'origine du feu ainsi qu'une éventuelle dimension criminelle», prévient une source.
Le PDG de Lubrizol, Eric Schnur, est moins prudent : «Les informations dont nous disposons indiquent que l'incendie s'est déclenché à l'extérieur de nos installations», a-t-il déclaré mardi lors d'une audition à l'Assemblée. Il dit s'appuyer sur «deux vidéos». Contacté par Libé, Lubrizol précise que son système de vidéosurveillance permet d'avoir une vue complète sur l'enceinte de l'usine, «sans angle mort». Et oriente donc les regards vers sa voisine, Normandie Logistique, qui se défend aussi d'être à l'origine de la catastrophe.
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Réaction
Le sérieux de cette société de transport, qui stockait notamment 1 691 tonnes de produits appartenant à Lubrizol, a par ailleurs été mis en cause mercredi par Patrick Berg, qui dirige la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie. «J'ai transmis au parquet un procès-verbal comportant le relevé de plusieurs infractions pénales», a-t-il indiqué lors de son audition à l'Assemblée. «Patrick Berg se substitue au procureur de la République, rétorque Normandie Logistique, contactée par Libération. La Dreal nous a fait parvenir il y a une semaine une lettre spécifiant 7 ou 8 points problématiques. Aucun de ces points, même s'ils ne sont pas respectés, ne pourrait expliquer un départ de feu, ni sa propagation.»
Enfin, la réaction des autorités face à l’événement va aussi être analysée. La préfecture de Seine-Maritime a bien déclenché le plan particulier d’intervention (PPI) dans la nuit du 26 septembre mais plusieurs questions demeurent. Les autorités n’auraient-elles pas dû allumer tout de suite les sirènes pour alerter la population, comme le prévoit le PPI ? Le préfet a-t-il fait le bon choix en appliquant le plus bas niveau de réaction ? En effet, la population n’a jamais reçu l’ordre de se confiner ou d’évacuer mais simplement de limiter ses déplacements.