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Commission

UE : Macron avance le nouveau pion Breton

Après le rejet de Sylvie Goulard, l’Elysée a proposé jeudi le PDG d’Atos et ex-patron de Bercy au poste de «super ministre» à l’industrie à la Commission. Un choix que devrait entériner le Parlement européen.
Thierry Breton en avril 2016. (ROMUALD MEIGNEUX/SIPA)
publié le 24 octobre 2019 à 21h01

France, deuxième essai. Après le retentissant rejet de la candidature de Sylvie Goulard, Emmanuel Macron a proposé jeudi le nom de Thierry Breton pour représenter la France dans l’équipe de 27 commissaires européens présidée par l’allemande Ursula von der Leyen. A gauche, plusieurs voix ont aussitôt affirmé que ce choix ne serait pas sans risque. Ex-ministre des Finances de Jean-Pierre Raffarin, l’actuel patron du groupe Atos, 64 ans, a derrière lui une longue carrière d’industriel qui serait potentiellement susceptible de le mettre en conflit d’intérêts.

«Vous vous doutez bien que toutes les précautions ont été prises», assure une source ministérielle. A l'Elysée, on n'imagine pas une seconde que le Parlement européen puisse une nouvelle fois rejeter le candidat de Paris. «Thierry Breton a des compétences solides dans les domaines couverts par son portefeuille», fait valoir la présidence. Après l'élimination de Goulard, Macron avait indiqué que sa priorité était de préserver le périmètre du portefeuille obtenu pour le Commissaire français (politique industrielle, marché intérieur, numérique, défense et espace). Ursula von der Leyen aurait, sur ce point, donné toutes les assurances.

En charge de l'industrie quand il régnait sur Bercy entre 2005 et 2007, Breton a dirigé plusieurs groupes concernés par le numérique ou la défense (Thomson, France Télécom, Atos). Ce qui l'a amené à travailler avec Ursula von der Leyen, alors ministre allemande de la Défense, sur la création d'un Fonds européen de la défense et de la sécurité. Outre une «solide réputation d'homme d'action», l'Elysée fait valoir que son champion est un «Européen convaincu». En guise d'illustration, l'entourage du chef de l'Etat rappelle que Breton a négocié un partenariat stratégique avec l'allemand Siemens dont le groupe Atos a racheté en 2010 l'entité Solutions and Services. C'est d'ailleurs à la banque Rothschild et à son associé gérant, un certain Emmanuel Macron, que sera confié le mandat de vente. Le patron et le jeune banquier se connaissaient déjà : en 2005, le premier, ministre de l'Economie, avait confié au second, jeune inspecteur des finances, une mission sur la trésorerie de l'Etat.

«Créativité». Un ancien ministre de Chirac pour remplacer Goulard ? Jusque dans la majorité, ce choix en déçoit certains. «Thierry Breton est évidemment fait pour ce poste mais on a sans doute raté l'occasion d'une ouverture à gauche», confie l'eurodéputé Bernard Guetta qui cite, entre autres, l'économiste Jean Pisany-Ferry, coordinateur du programme du candidat Macron en 2017, ou la négociatrice de la COP 21, Laurence Tubiana. Le vivier de la macronie serait-il à ce point tari qu'aucune figure nouvelle - et féminine - ne pouvait être trouvée ? «Parce que vous trouvez que les autres viviers, ceux de LR ou du PS, sont particulièrement riches ?» réplique, amusé, un cadre de LREM. De nombreux responsables de la majorité ont tenu à saluer «l'excellent choix» présidentiel. Même François Bayrou, notoirement hostile à la candidature Goulard, s'est fendu jeudi d'un tweet laudateur : «Un choix remarquable, […] une personnalité qui a une expérience majeure et une grande créativité !» Le nom de Thierry Breton ne tombe pas du ciel. Il avait déjà circulé avec insistance au moment de l'élection de Macron. On le disait alors intéressé par un super ministère de l'Economie et des Finances.

Le Parlement européen peut-il recaler pour la seconde fois le candidat français ? C’est douteux, même si le passé d’homme d’affaires de Breton suscite des réserves sur les bancs socialistes, écologistes et de la gauche radicale. Un nouveau camouflet, sans précédent dans l’histoire communautaire, serait une vraie déclaration de guerre à Macron, alors même qu’il est le dernier chef d’Etat et de gouvernement à défendre une Union plus intégrée. Surtout, le Parlement prendrait le risque de déclencher une crise interinstitutionnelle de grande ampleur à l’heure du Brexit, ce que personne ne souhaite.

Que le président de la République soit un très mauvais DRH, c’est devenu une évidence à Bruxelles après les crashs Nathalie Loiseau et Sylvie Goulard - sans parler de Catherine Pignon qui n’a pas obtenu le poste d’avocate générale auprès de la Cour de justice européenne pour manque de connaissance du droit communautaire… On fait valoir à Paris que le chef de l’Etat était contraint par la taille gigantesque du portefeuille négocié avec Von der Leyen : il y aurait là de quoi occuper sans problème trois commissaires… Trouver l’oiseau rare n’était donc pas aisé et peu d’eurodéputés pourraient prétendre le contraire.

Thierry Breton est d'un niveau autrement plus relevé que la plupart des commissaires déjà adoubés par le Parlement, estime-t-on à Paris. «On ne va pas nous faire croire que le commissaire polonais à l'agriculture, Janusz Wojciechowski, est plus compétent que notre candidat, s'exclame un diplomate français. Qu'on lui laisse sa chance, c'est tout ce qu'on demande.» Les vieilles affaires reprochées à Breton n'ont jamais donné lieu à condamnation et il n'est pas difficile d'évacuer les soupçons de conflits d'intérêts. A Paris, on considère qu'il peut soit confier ses actions et obligations à un trust durant son mandat, soit les vendre comme s'est par exemple engagé à le faire l'Espagnol Josep Borrell, ministre des affaires étrangères désigné de l'UE (un portefeuille estimé à 500 000 euros). «Il va diviser sa rémunération par dix, alors l'accuser de vouloir s'enrichir n'a aucun sens», poursuit ce diplomate.

Emiettement. Reste que la dynamique du Parlement élu en mai peut échapper à tout contrôle : outre qu'il n'existe aucune discipline de vote à l'intérieur des groupes politiques, 63 % des eurodéputés sont de nouveaux élus qui ont soif de prouver leur indépendance. Surtout, la majorité absolue ne peut être atteinte qu'en réunissant les voix des conservateurs, des socialistes et des centristes de Renew Europe où siègent les députés de LREM, trois groupes auxquels il faut ajouter les écologistes pour se doter d'une marge confortable. Autant dire que la logique institutionnelle qui plaide pour une confirmation de Thierry Breton pourrait ne pas résister à cet émiettement politique justement souhaité par Macron… Et si le candidat français est finalement confirmé, rien ne dit que la Commission Von der Leyen obtiendra in fine la confiance : le 16 juillet, la présidente désignée n'a dépassé la majorité nécessaire de 374 voix que de 9 petites unités.