Roi de la télé, et maintenant roi du monde. Le producteur français Stéphane Courbit annonce ce samedi l'acquisition d'EndemolShine, une très grosse boîte à émissions anglo-néerlandaise, à l'origine de quelques «franchises» stars du petit écran comme Masterchef, Big Brother ou Money Drop. Le rapprochement de cette société avec son propre groupe, Banijay (Fort Boyard, L'île de la tentation, Cyril Hanouna…), donne naissance au premier acteur planétaire dans le secteur du «flux», qui désigne les émissions de jeux, de magazines et de divertissements. Un géant d'environ trois milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, détenant 200 entreprises dans 23 territoires, après une transaction estimée à deux milliards d'euros.
C'est la fin d'un long feuilleton. Les deux propriétaires d'EndemolShine, The Walt Disney Company et le fonds Apollo, cherchaient à céder l'entreprise depuis dix-huit mois. Stéphane Courbit s'y intéresse depuis la mise en vente. Tenace, il a réussi à faire baisser le prix de départ, qui était d'environ 3 milliards d'euros, quand beaucoup d'autres candidats au rachat ont choisi de jeter l'éponge. «La combinaison des ressources des deux compagnies renforcera immédiatement notre position sur le marché global», se félicite Marco Bassetti, le dirigeant de Banijay. Tout l'enjeu stratégique est là : il s'agit de créer un mastodonte d'une taille suffisamment grande pour peser face aux nouveaux géants du secteur, notamment les plateformes comme Netflix. Les grands médias internationaux, qui se voient de plus en plus comme des télévisions mondiales, sont engagés dans une véritable course à l'armement.
Finances
Stéphane Courbit veut apparemment jouer un rôle dans cette guerre. L’ex-stagiaire de Christophe Dechavanne au début des années 90, qui sera majoritaire au capital du nouveau super-acteur de la production, est accompagné dans le deal par deux milliardaires français. Le premier est Vincent Bolloré, actionnaire de référence de Vivendi. Le conglomérat français, qui détenait déjà un petit tiers de Banijay, va participer à l’augmentation de capital permettant le financement de l’acquisition. La maison-mère de Canal+ aura 33% du nouvel ensemble. L’autre bonne fée s’appelle Marc Ladreit de Lacharrière, dont la société d’investissement Fimalac possédera 8% de LOV, la société personnelle de Courbit, et 12% d'un holding détenant la combinaison de Banijay et EndemolShine. Le reste des parts reviendra au groupe italien De Agostini.
Dans le monde de la télévision, beaucoup saluent l'audace de Courbit mais s'inquiètent du risque qu'il prend. «Je suis sceptique, observe un directeur de chaîne. EndemolShine est réputé pour avoir des difficultés créatives. Et cela crée un grand producteur de flux, mais le marché demande de la fiction, de la série.» Malgré quelques belles œuvres dans le portefeuille, comme Peaky Blinders ou Black Mirror, le nouveau Banijay penche clairement du côté du flux. «Courbit croit encore beaucoup au format télé qui fait mouche», argumente un proche de l'homme d'affaires. Les conditions financières de l'opération interrogent. Beaucoup de grandes sociétés, comme la britannique ITV, ont renoncé à cette acquisition, estimant qu'elle ne valait pas le coup. EndemolShine est en effet très endettée, à hauteur de 1,6 milliard d'euros. Cette ardoise va s'ajouter à celle de Banijay, qui a grossi depuis son lancement en 2007 par acquisitions. «Courbit va se retrouver avec une montagne de dettes sur le dos, environ deux milliards d'euros. Avec trois milliards d'euros de chiffre d'affaires et un marché de la télé qui souffre de la baisse des recettes publicitaires et de la concurrence des plateformes, c'est très, très lourd», constate un grand producteur français.
Entrepreneur hors pairs ou revanchard ?
«Stéphane n'a jamais perdu la tête. C'est un entrepreneur hors pair, qui sait prendre des risques», tempère Takis Candilis, directeur des programmes de France Télévisions et ex-patron de Banijay. Les partisans de Courbit arguent qu'il connaît très bien la boîte qu'il reprend. Dans les années 2000, il a dirigé la filiale française d'Endemol, à qui il avait revendu auparavant sa propre société de production, montée avec l'animateur Arthur. L'opération avait fait la fortune du duo. C'est à cette époque que le producteur avait lancé la télé-réalité en France, avec Loft Story. «Courbit a toujours voulu racheter Endemol. C'est une idée fixe. Cette boîte l'a toujours fait triper», commente son proche. Dans la bouche d'un concurrent, cela donne autre chose : «La seule et unique raison de ce deal, qui n'a pas de rationnel financier, est l'ambition et la revanche personnelle de Courbit.»
La dernière fois que l'homme d'affaires avait fait parler de lui, la raison était moins noble. En 2015, il a été condamné à 250 000 euros d'amende lors du procès Bettencourt pour «abus de faiblesse» sur l'ex-héritière de l'Oréal. Sa faute : avoir fait investir la vieille dame dans sa société LOV, à hauteur de 143 millions d'euros, en 2010-2011 alors que la capacité de discernement de cette dernière était altérée. Il avait remboursé cette somme juste avant le procès. Sans réussir à échapper à cette réprimande judiciaire.