C’est un homme à la destinée insensée. Un truand un temps complice du pire, que la quête de rédemption a transformé en improbable source des policiers et des juges luttant contre la criminalité organisée. Ce lundi, la cour d’assises d’Aix-en-Provence s’apprête à juger celui que les médias présentent comme le premier «repenti» du banditisme corse. A 42 ans, Claude Chossat suscite l’admiration ou la haine, selon que l’on vénère sa tempérance ou que l’on raille le rôle sur mesure qu’il se donne.
Véritable pas de tir
Longtemps voyou de milieu de tableau, Chossat fut, en 2007 et 2008, un chauffeur pas comme les autres. Grâce à sa passion des rallyes, l’électricien de formation est devenu le poisson-pilote du tempétueux François-Marie Mariani, rencontré en 2001 à la prison de Borgo. Forte tête du gang de la Brise de mer, responsable d’une centaine d’attaques à main armée - dont le braquage de l’Union des banques suisses à Genève -, Mariani, dit Francis, confie la logistique de ses déplacements à Chossat. Depuis novembre 2007, et la balle qui s’est fichée dans son avant-bras gauche à la suite d’un guet-apens sur une petite route de Corse, le parrain - dont le CV tutoierait les 60 assassinats - a viré complètement parano. Selon les versions et les différentes interprétations, Mariani impute cette tentative de le supprimer à deux autres gros bonnets de la Brise de mer, Jean-Luc Germani ou Richard Casanova. Des pontes qui, en raison de différends d’affaires, vont s’entretuer jusqu’à faire péricliter l’hégémonie du gang. C’est dans cette atmosphère de soufre et de sang que Chossat va participer au flingage de Richard Casanova, 48 ans, dit «le dandy de grands chemins» pour sa gueule d’ange et son amour des jeux d’argent.
Le 23 avril 2008, Richard Casanova entre dans un garage «Sud international» de Porto-Vecchio. Il est flanqué d’un ami, Bernard D. La veille, les deux hommes ont ripaillé dans un resto de la ville, sans que Casanova laisse transparaître la moindre inquiétude. Pourtant, à quelques mètres du garage, un véritable pas de tir a été monté. A l’aplomb d’un mur, dissimulé par la végétation d’une villa inoccupée, un calibre 223 Remington arrose Casanova. En s’effondrant, la belle gueule laisse tomber 3 500 euros - dont quatre billets neufs de 500 euros, ainsi que des documents relatifs à des projets immobiliers et des aménagements portuaires dans l’île. Les policiers exhument aussi 3 160 euros en numéraire des poches arrière de son pantalon.
L'enquête vertigineuse qui débute va s'étirer sur près de dix ans. Et va prendre, à compter du 17 décembre 2009, un tournant historique. Ce jour-là, Claude Chossat décide de passer à table. Après deux jours de garde à vue à l'hôtel de police de la rue de l'Evêché, à Marseille - c'est dans la cité phocéenne que se trouve la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) -, il sollicite un tête-à-tête avec Bruno Boudet, chef du groupe corse à l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO). Le deal est simple : en échange d'une incarcération à Ajaccio, près de ses filles, Chossat est prêt à dévoiler les arcanes de la Brise de mer. Comme l'a raconté le Monde cet été, Boudet exige en échange que l'intégralité des déclarations soit actée sur procès-verbal. Dans le cas contraire, et si Chossat ment, le contrat est caduc. Entre ce 17 décembre 2009 et l'année 2012, Claude Chossat est entendu à vingt reprises. Aux yeux des policiers et des juges, les informations qu'il livre s'avèrent inestimables. Ils se disent alors que sans l'aide des repentis, la lutte anti-mafia est perdue d'avance. Mais malgré l'audace de sa démarche, Claude Chossat n'en a pas le statut officiel. En effet, les textes n'en ont figé le principe juridique qu'en 2014, à la faveur d'un décret encouragé par la garde des Sceaux, Christiane Taubira.
Parler plutôt que mourir
Cette immaturité législative, certes réparée depuis (les repentis peuvent bénéficier aujourd'hui d'une protection rapprochée, d'un logement, d'un nouvel état civil), contribue ironiquement à la légende de Claude Chossat. Au quotidien, et malgré les contrats qui mettent sa vie à prix, l'ancien voyou n'est pas protégé. Il y a quelques mois, sa défense a demandé, en vain, le dépaysement du procès devant une autre juridiction (lire ci-contre). Considéré comme une base arrière du banditisme insulaire, Aix-en-Provence présenterait en effet de nombreux risques attentatoires à la sérénité des débats : sécurité de Claude Chossat et de son conseil, Edouard Martial, pression sur les jurés, les témoins, voire sur les magistrats. Depuis 2012, date de sa remise en liberté sous contrôle judiciaire (une décision rarissime dans une affaire d'assassinat en bande organisée, à la hauteur, semble-t-il, des précieux renseignements livrés), Chossat a refait sa vie dans le Jura. Chacun de ses déplacements est réfléchi, préparé. Pour éviter d'être repéré ou suivi, il mixe les moyens de transport (train, auto, moto), change ses trajets, ne dort pas toujours au même endroit. Il a montré son visage pour la première fois dimanche, dans une interview accordée au Parisien. Une vie sacerdotale, mais que lui serait-il arrivé s'il était resté l'homme à tout faire de Francis Mariani ?
Parler au lieu de mourir piteusement, voilà finalement la façon dont l'équation s'est posée pour Claude Chossat. A force de côtoyer «Francis», il en savait infiniment trop sur ses dingueries. Tôt ou tard, lui aussi se serait fait liquider par le boss… En décembre 2015, Chossat clôt d'ailleurs sa garde à vue par cette confidence : «Durant l'année que j'ai passée avec Francis Mariani, j'ai vécu dans la crainte de mourir. Dès le moment où j'ai acheté des armes pour lui, je n'avais plus le choix. Je devais le suivre. Je pense qu'à terme il m'aurait tué.» Et d'illustrer son propos par cette scène, que Chossat date de juillet 2008, peu après l'assassinat d'un autre proche, Daniel Vittini : «Quand j'ai gueulé parce que [Mariani] m'avait dit d'aller le chercher, il m'avait répondu : "Si t'es pas content, y'a un chargeur pour toi. J'ai tué 54 types, alors un de plus, un de moins"…»
Avant qu’il ne soit trop tard, Claude Chossat quitte la Corse discrètement avec sa famille. Il fraye à la frontière franco-suisse, là où, pense-t-il, ses anciens amis ne le trouveront pas. Pour se fondre dans le paysage, il obtient d’un certain Christian B., gérant d’une société spécialisée dans le sport automobile, un contrat de travail et des fiches de paye. L’idée est simple : justifier des revenus pour devenir résident helvétique. Le plan échoue le 3 septembre 2009. Claude Chossat est arrêté sur un parking de Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie) par les hommes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Lyon. Retour en Corse, mais en prison.
Fiabilité en question
Le procès qui s’ouvre ce lundi à Aix-en-Provence pourrait bien l’y renvoyer. Et pour une paye. Accusé d’assassinat en bande organisée, Claude Chossat risque la réclusion criminelle à perpétuité. Tout au long de l’instruction, le natif de Cuttoli-Corticchiato, dont l’ADN a été prélevé sur le pas de tir, a attribué le meurtre de Richard Casanova à son ancien patron, Francis Mariani. Si un témoin, Jean-Toussaint M., corrobore cette version, Mariani, lui, n’est plus là pour la contredire. Le 15 janvier 2009, l’excité de la gâchette est décédé à son tour dans l’explosion d’un hangar à Casevecchie. Une issue qui n’avait rien d’accidentel.
Durant l'enquête, la fiabilité de Claude Chossat a été remise en question à plusieurs reprises. Ce dernier a notamment livré deux versions différentes de son rôle le jour des faits. Et toujours soutenu qu'un troisième homme, un prénommé «Franck», se trouvait avec lui et Francis Mariani le jour de l'assassinat. Or, malgré des recherches très complètes - réquisitions aux compagnies aériennes et maritimes, identification des codétenus de Mariani, examen des personnes présentes à ses obsèques -, «Franck» n'a jamais été identifié. Le comble de la pantalonnade est survenu le 15 juin 2012, lorsque le juge d'instruction a reçu par la poste une enveloppe anonyme contenant deux photographies d'un individu de sexe masculin. Entendu trois mois plus tard, Chossat reconnait formellement le «Franck» en question. Mais Pierre Bruno, l'un des avocats de la famille Casanova, révèle que ses clientes ont, elles aussi, reconnu l'homme figurant sur les images. En réalité, il s'agit de Clemens Schick, garde du corps de l'ennemi de James Bond dans le film Casino Royale… Du pain bénit pour les détracteurs de Chossat, qui dénoncent, pêle-mêle, «un criminel impliqué dans de nombreux autres dossiers», ou «un propagandiste de lui-même addict à Twitter». Surtout, ils soulignent qu'aucune personne n'a, à ce jour, été condamnée à la suite de révélations faites par Claude Chossat.
Cités par la défense, l’ex-policier de l’OCLCO Bruno Boudet ainsi que les anciens magistrats de la Jirs, Claude Choquet et Guillaume Cotelle viendront, eux, dire à quel point Claude Chossat a concouru à l’œuvre de justice. Peut-être lèveront-ils le voile sur l’apport de cette source inespérée. L’empoignade promet d’être enlevée.