Un cortège funéraire vers Bercy. Alors que l'Assemblée nationale s'apprête à voter des crédits budgétaires pour l'hôpital public «sans commune mesure avec les besoins et la gravité de la situation», ils seront plusieurs dizaines d'hospitaliers à marcher ce mardi sur le ministère des Finances derrière la «dépouille» symbolique de «l'hôpital en danger». «L'idée, c'est de marquer le coup», précise Sophie Crozier, neurologue et cofondatrice du collectif Inter-Hôpitaux, qui depuis le 10 octobre organise la résistance au sein du secteur public hospitalier.
Parole. «Durant les débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Agnès Buzyn a opposé une fin de non-recevoir à nos revendications sans nous cacher qu'elle n'avait pas la main. On a donc décidé d'aller interpeller directement son collègue du Budget, Gérald Darmanin.» Un rendez-vous réclamé - «sans illusion» - pour seriner un message répété à l'envi depuis le 10 octobre : il y a urgence à donner de l'oxygène financier à l'hôpital public, à revaloriser les salaires des personnels soignants pour réussir à recruter, à rouvrir des lits quand c'est nécessaire… La situation est de fait parfois ubuesque : de l'aveu même de son directeur général, Martin Hirsch, l'AP-HP a été contrainte de fermer 900 lits, faute d'effectifs suffisants pour assurer les soins, 400 postes d'infirmières financés étant toujours vacants…
Pour le collectif Inter-Hôpitaux, la procession vers Bercy est aussi l’occasion de donner de la visibilité à une contestation qui, à bas bruit, commence à faire tache d’huile.
Sept mois après le début du mouvement de grève des urgences, c'est tout l'hôpital ou presque qui s'y met. Longtemps en retrait, les médecins hospitaliers ont rejoint dans la bataille les personnels soignants. Libérant une parole jusque-là cadenassée. Sur les boucles de mails inter-hôpitaux comme dans les échanges entre spécialistes émérites, les cas limite ou scandaleux font florès, attisant le sentiment de «crise sans précédent», dixit André Grimaldi, ancien chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière. Ainsi quand, faute de lit disponible, l'hôpital Necker refuse l'admission d'un enfant, finalement hospitalisé à Rouen. Ou que le service réanimation de l'hôpital Robert-Debré se sépare prématurément d'un petit patient pour pouvoir en accueillir un autre en «déchocage», autrement dit en urgence vitale…
«Codage». Vécu jusqu'alors sur un mode individuel, presque honteux, le malaise hospitalier se révèle collectif, un peu partout répliqué. De quoi pousser les médecins à jouer d'un levier ultrasensible aux yeux des gestionnaires : la grève du «codage», sans lequel l'hôpital n'est plus en mesure de facturer les actes effectués à la Sécurité sociale. Selon le dernier pointage du collectif Inter-Hôpitaux, la grève totale ou partielle du codage touche aujourd'hui une trentaine d'établissements, dont une vingtaine d'hôpitaux de l'AP-HP, et près de 400 services de médecine (neurologie, pédiatrie, cardiologie, rhumatologie…). Parti de Paris, le mouvement se propage en province, à Marseille, Annecy, Montauban, Caen, Narbonne. «Ce n'est qu'un début, estime Sophie Crozier. Nous devons aussi faire avec la résignation et l'abattement. On est sur une montée en puissance progressive jusqu'à la grande manifestation du 14 novembre.» Une manifestation dont l'ampleur définira le rapport de force.