Peut-on être rationnel dès lors qu'il s'agit d'un personnage aussi romanesque que Claude Chossat ? Cet ancien membre du milieu corse, 42 ans, comparaît depuis lundi devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône pour l'assassinat en bande organisée de Richard Casanova, pachyderme de l'écosystème mafieux. Les faits remontent au 23 avril 2008 et apparaissent, du moins dans leur concrétisation, relativement simples : selon Chossat, Francis Mariani, l'ancien boss du gang de la Brise de mer, a tiré sur Richard Casanova. Mariani aurait ainsi voulu se venger d'une tentative d'assassinat essuyée en novembre 2007, derrière laquelle planait l'ombre de Casanova. Chossat, lui, reconnaît sa présence sur les lieux le jour des faits, son ADN ayant par ailleurs été prélevé sur le pas de tir.
Des révélations et des bouts de faux
L'affaire, déjà hors du commun du fait de ses protagonistes – les rois de l'extorsion des années 90-2000 –, prend des accents historiques fin 2009. En cavale durant de longs mois, Chossat se fait pincer et décide de faire des entrailles de la Brise un livre ouvert. Fonctionnement, organisation, comptes bancaires, celui qui se vit en «repenti» fait gagner dix ans de boulot à la police judiciaire (PJ). Parmi ces révélations, celle de sa participation au flingage de Casanova – ce qui a le don de crédibiliser l'édifice, comme l'a expliqué à la barre, mardi, l'ancien taulier de la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) d'Ajaccio, Frédéric Trannoy. Mais il y a un hic : au cœur de ses multiples récits, Claude Chossat a aussi instillé des bouts de faux. Des mensonges destinés «à minorer son rôle» dans l'assassinat de Casanova, ce qui n'a en soi rien d'étonnant, et lui est par ailleurs parfaitement permis.
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Dès lors, il n'est plus question que d'un affrontement maximaliste, quasi religieux, de deux camps s'essayant à l'exégèse de ce quadragénaire à l'allure passe-partout. Pour la partie civile, représentant les intérêts du clan Casanova, Chossat incarne le comble de l'indignité, «un manipulateur» qui a la bassesse de charger les morts. Comme l'a dit l'avocat Emmanuel Marsigny mardi, si l'ex-chauffeur de Francis Mariani est passé à confesse, ce n'est qu'après avoir été interpellé par la brigade de recherche et d'intervention (BRI), «parce qu'il était marron, qu'il était cuit». Côté défense, on bénit bien évidemment le panache d'un homme qui «assume», qui tutoie un péril si grand que cela suffirait à expier sa faute. L'audience n'a pas commencé depuis trois jours que chaque témoin est déjà tourmenté par ce diptyque infernal, sommé de dire si Claude Chossat relève du paradis ou de l'enfer, les écuries en présence allant parfois jusqu'à s'affranchir du droit pour convertir un nouveau disciple : «Que pensez-vous de Claude Chossat ?», «Peut-on le croire quand il dit… ?»
«Pour moi, le tireur, c’est Francis Mariani»
Mardi, c'est donc Frédéric Trannoy, ex-directeur d'enquête à la PJ locale, qui a été secoué en tous sens. Emmanuel Marsigny : «Dites-nous, monsieur, combien de dossiers en sommeil dans les tiroirs de la PJ d'Ajaccio avez-vous pu élucider grâce aux déclarations de Claude Chossat ?» Le flic s'en tire en bredouillant, ce qui lui évite d'avoir à dire «zéro». Côté défense, on riposte promptement, faisant reconnaître au commissaire que l'apport du «repenti» est «crédible, extraordinaire». Toutefois, Trannoy va plus loin : «Pour "monter" sur Richard Casanova, comme on dit dans le milieu, il faut être fort. Personne ne nous a jamais dit que ça pouvait être Claude Chossat. […] Pour moi, le tireur, c'est Francis Mariani.»
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