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Libération
Interview

PSA et Fiat-Chrysler : «L’intérêt mutuel à se rapprocher paraît évident»

Pour le spécialiste de l’industrie automobile Bernard Jullien, l’union entre les deux groupes leur permettrait de conquérir de nouveaux marchés. Reste à trancher sur la gouvernance.
publié le 30 octobre 2019 à 21h16

Bernard Jullien est maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux et spécialiste des questions automobiles. S’il juge ce projet de mariage entre PSA et Fiat-Chrysler (FCA) plus équilibré que celui, avorté, entre l’italien et Renault, il estime que sa viabilité industrielle dépendra du mode de gouvernance du nouvel ensemble.

Comment analysez-vous ce nouveau projet de rapprochement ?

Renault, déjà allié avec Nissan, n’avait pas besoin industriellement de Fiat-Chrysler, alors que le contraire était criant. Cette fois, avec PSA, l’intérêt mutuel à se rapprocher paraît plus évident. Que ce soit au regard du nombre de véhicules vendus ou de la complémentarité géographique des marchés, on a affaire à deux acteurs de même poids, susceptibles de dégager des synergies dans cette opération.

Lesquelles ?

PSA est plus fort en Europe et Fiat-Chrysler aux Etats-Unis. Cette alliance permettrait aux deux ensembles de s’épauler sur ces marchés. C’est en revanche moins évident pour la Chine, où aucun des deux groupes n’est parvenu à pénétrer ce marché très fermé. L’autre point clé tient aux économies d’échelle nécessaires pour financer les investissements colossaux liés à la transition écologique et au tout-électrique post-thermique. Seuls, ces deux acteurs restent trop petits comparés à des géants comme Toyota ou Volkswagen. Ils manquent de masse critique et ont donc tous les deux besoin de grossir.

Qu’en est-il de la future gouvernance du nouvel ensemble ?

Elle n’a pas encore été dévoilée mais le fait d’évoquer une direction opérationnelle qui serait confiée à l’actuel patron de PSA, Carlos Tavares, est une manière de reconnaître qu’industriellement parlant, la primauté stratégique reviendrait au côté français. Mais tout dépendra du pouvoir réel de Tavares ! Et compte tenu de la structure actionnariale actuelle des deux groupes - l’Etat, la famille Peugeot et le constructeur chinois Dongfeng chez PSA ; la famille Agnelli chez FCA, à travers son holding Exor NV -, il est à craindre que personne n’ait une majorité claire. Toute décision stratégique, dans ce cas, pourrait s’avérer problématique, avec des risques de paralysie.

Vous pointez également la différence de culture actionnariale entre ces deux groupes…

Elle est très nette. Du côté de FCA, on est clairement dans une approche financière. Tout a été fait ces dernières années dans une optique de désendetter le groupe, soit pour bien le vendre, soit pour en tirer de confortables dividendes. L’approche de PSA, portée par la vision plus industrielle et moins court-termiste de Louis Gallois, président du conseil de surveillance, est de demander de la «patience» au capital.

Comment cela s’exprime-t-il ?

Clairement, chez FCA, tout ce qui ne rapporte pas avec des marges très lucratives, comme les gros véhicules vendus outre-Atlantique, est fermé et abandonné. Ce groupe dépense 2,5 % de son chiffre d’affaires en recherche et développement, c’est ridicule. A l’inverse, chez PSA, on est prêt à perdre d’abord pas mal d’argent avant de tirer les fruits des investissements, comme lorsqu’on relance la marque DS ou qu’on tente la difficile aventure indienne.

Laquelle de ces deux visions l’emportera ?

C’est tout l’enjeu des discussions actuelles. Pour PSA et la France, ce mariage n’a d’intérêt que s’il s’accompagne d’une vision industrielle et commerciale qui ne soit pas seulement financière.