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Libération
Reportage

Chanteloup-les-Vignes : après la fièvre, la stupeur

Jets de pierres et de cocktails Molotov, tirs de mortier… Des affrontements ont éclaté samedi soir entre une trentaine de personnes et la police dans cette commune des Yvelines, entraînant l’incendie d’un chapiteau de cirque. Sur place dimanche, l’incompréhension dominait.
A Chanteloup-les-Vignes, dimanche. Le chapiteau, l’Arche, était une structure municipale qui accueillait notamment une école de cirque et de nombreux spectacles. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 3 novembre 2019 à 21h06

C’est un paysage peuplé de barres d’immeubles, dans la grisaille automnale. Une cité comme on en trouve des centaines en banlieue parisienne. Dans ce quartier de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), la Noé, des affrontements ont éclaté samedi soir entre une trentaine de personnes et les forces de l’ordre. Un chapiteau de cirque a été incendié. Selon une source policière citée par l’AFP, les échauffourées ont commencé aux alentours de 19 heures, avec des jets de pierres et de cocktails Molotov et des tirs de mortier, et ont duré jusqu’à 23 heures.

Dans un communiqué, le parquet de Versailles fait état de poubelles et de luminaires d'éclairage public incendiés, plongeant le quartier «dans l'obscurité», et de policiers pris à partie par «une trentaine d'individus, aux visages dissimulés et, pour certains, porteurs de bâtons et de barres de fer». Deux policiers ont été légèrement blessés et deux personnes interpellées. Des tentatives d'incendie ont également visé le bureau d'information jeunesse, la crèche et l'«espace emploi entreprise», a raconté un membre de l'équipe municipale à Libération.

«Flammes géantes»

Dimanche en début d’après-midi, peu de personnes se pressent dans les rues du quartier. Ni policier ni pompier à l’horizon. L’incendie a été éteint, ne subsiste que la haute carcasse du chapiteau, dont le revêtement et la structure ont été grignotés par les flammes. Quelques personnes défilent, habitants de la Noé ou badauds d’autres quartiers de la ville, voire de communes voisines, pour constater de leurs propres yeux ce qu’ils ont vu à la télé ou sur les réseaux sociaux. Le chapiteau, l’Arche, est une structure municipale qui accueillait notamment une école de cirque et de nombreux spectacles. Il a été inauguré l’année dernière. Un autre existait au même endroit depuis 2008, monté par la Compagnie des contraires, une association implantée depuis près de trente ans à la Noé, en résidence à l’Arche depuis son inauguration.

Rencontré dimanche aux abords des lieux sinistrés, John, 30 ans, est né dans le quartier et y vit toujours. Il connaît d'autant mieux les lieux qu'il y a travaillé en 2014 et 2015, en tant qu'animateur, avec la Compagnie des contraires. Samedi soir, il rentrait chez lui en voiture en début de soirée lorsqu'il a vu «plusieurs petits feux». «Je me suis dit que c'étaient des feux de poubelles, on en voit de temps en temps», raconte-t-il à Libération.

En s'approchant, le jeune homme distingue «le reflet de flammes géantes», craint d'abord pour le collège, face au chapiteau - Là, je me suis dit qu'on avait passé un palier» - puis s'aperçoit que c'est le chapiteau lui-même, entre l'établissement scolaire et la caserne des pompiers, qui flambe. John se dit «choqué», mais estime que «pour les gens qui ont mis le feu, il n'y a pas de signification symbolique. L'Arche, ils n'en ont rien à cirer», soupire le trentenaire, lâchant que «ce qu'ils ont fait est regrettable». D'après une source policière citée par l'AFP, ce sont des travaux de réhabilitation dans le quartier qui ont mis le feu aux poudres, une entreprise qui gênerait «l'économie souterraine».

A quelques pas de là dans la rue, une femme prend une photo des vestiges du chapiteau avec son portable. Institutrice, elle travaille depuis vingt-quatre ans à Chanteloup-les-Vignes, et enseigne dans une école située plus loin dans la Noé, qui avait été incendiée en avril 2018. «Ce sont des enfants qui occupent les locaux», se désole-t-elle, disant ne pas réussir à comprendre pourquoi ce lieu emblématique du quartier a été pris pour cible : «Ce chapiteau était là depuis très longtemps, quel est l'intérêt ?» Devant l'enceinte du cirque désormais ouvert aux quatre vents, trois militants du parti souverainiste Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan veulent «tourner une vidéo pour [leurs] réseaux sociaux» et «dire ce qu'on pense de ceci et donner quelques mesures pour régler la situation»…

Jointe par téléphone, la fondatrice et directrice de la Compagnie des contraires, Neusa Thomasi, déplore une «tragédie» et une «espèce de grand désespoir des jeunes qui ne savent plus quoi faire de leur vie», arguant, abasourdie, que sa compagnie «vivait en harmonie avec le territoire», considéré comme un quartier dit «sensible». La suite ? Neusa Thomasi ne la connaît pas encore, mais veut croire que quelque chose sera reconstruit.

«Ça part pour rien»

Dans la rue, John est encore là, va et vient, salue passants et automobilistes. En racontant le récit de sa soirée de samedi, le trentenaire a plaidé pour l'instauration d'un dialogue entre la mairie et ceux qui ont affronté les policiers. «Depuis que je suis tout petit, on est toujours dans ce cercle vicieux, des fois ça part pour rien et il n'y a pas vraiment de dialogue entre la mairie et les jeunes, dit-il. C'est pas des jeunes de Neuilly. Le premier réflexe, c'est pas le dialogue, parce qu'on ne les a pas habitués.» Peu avant 15 heures, la maire (divers droite) de la commune, Catherine Arenou, est revenue sur les lieux après un premier passage matinal. Mais son retour sera bref. Dans la rue, un petit attroupement s'est formé et l'édile est interpellée avec virulence par une poignée d'habitants, de toutes générations. Elle bat en retraite. Le dialogue n'a rien d'une évidence.

Dimanche matin, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qualifiait les événements de la nuit d’«actes lâches et imbéciles», tandis que le préfet des Yvelines, Jean-Jacques Brot, condamnait «avec la plus grande fermeté l’incendie de l’Arche […] qui prive la population d’un lieu de culture précieux et reconnu». Le parquet de Versailles a annoncé dans la journée l’ouverture de deux enquêtes, l’une sur l’incendie du chapiteau et l’autre sur les violences contre les forces de l’ordre.