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Libération

Adèle Haenel : une enquête et une réponse

Après les accusations de l’actrice contre Christophe Ruggia, la justice s’est saisie de l’affaire. Le cinéaste nie toute agression sexuelle mais reconnaît avoir exercé une emprise.
Adèle Haenel en mars 2015. (Photo Paul Rousteau)
publié le 6 novembre 2019 à 20h26

Alors que continuent de se multiplier les manifestations de soutien adressées à Adèle Haenel à la suite de sa prise de parole lundi soir sur Mediapart, où l’actrice expliquait sa décision de témoigner publiquement de ses accusations d’«attouchements» et de «harcèlement sexuel» à l’endroit du cinéaste Christophe Ruggia, le parquet de Paris a annoncé mercredi l’ouverture d’une enquête préliminaire.

Non prescrits

Ouverte pour des chefs d'«agression sexuelle sur mineure de moins de 15 ans par personne ayant autorité» et de «harcèlement sexuel», l'enquête a été confiée à l'Office central de la répression de la violence faite aux personnes (OCRVP), sans que l'actrice ait porté plainte. Si les faits dont elle accuse Christophe Ruggia ne sont pas prescrits, Adèle Haenel a en effet expliqué n'avoir «jamais vraiment envisagé la justice», mais plutôt des «procédures internes au cinéma». «Je crois en la justice mais elle doit se remettre en question pour être représentative de la société», a-t-elle déclaré lundi soir au président de Mediapart, Edwy Plenel, dans la droite ligne des propos que rapportait Marine Turchi dans son enquête : «Elle ne souhaite pas porter l'affaire devant la justice qui, de manière générale, selon elle, "condamne si peu les agresseurs", et "un viol sur cent". "La justice nous ignore, on ignore la justice."»

Invitée sur France Inter mercredi, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s'est dite «choquée» par ces propos. «Je pense qu'elle a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations», a déclaré la ministre, assurant que les pouvoirs publics tâchaient, de «mille manières», de «mieux prendre en compte la parole des femmes qui ont été victimes de ce type de situations», citant à titre d'exemple la possibilité du dépôt de plainte en ligne depuis cette année. Invitant vivement l'actrice à saisir la justice, la ministre a estimé que celle-ci «en sortira renforcée, et la situation de la personne qui est mise en cause également».

Le bilan des procédures judiciaires engagées pour violences sexuelles ces dernières années, en nette augmentation depuis le début du mouvement #MeToo, décrit pourtant une réalité différente. Si le cas de Luc Besson, visé par une plainte pour viol de l'actrice Sand Van Roy classée sans suite en mai 2018 (le dossier vient cependant d'être rouvert), n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, le Monde rapporte notamment dans un article publié mercredi qu'en 2016, seulement «27 % des personnes mises en cause dans des affaires de violences sexuelles ont été renvoyées devant une juridiction de jugement ou poursuivies dans le cadre d'une information judiciaire», et que «dans un tiers des cas, les mis en examen pour viol n'ont pas été jugés ; ils ont bénéficié d'un non-lieu».

«Adulation»

Mercredi, le cinéaste Christophe Ruggia, mis en cause par Adèle Haenel, a adressé son droit de réponse à Mediapart. S'il reconnaît avoir exercé une «emprise de metteur en scène à l'égard de l'actrice», et noué avec elle une «relation personnelle et professionnelle forte», il y réfute catégoriquement les accusations de «harcèlement» et «d'attouchements sexuels». «A l'époque, je n'avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c'est le cas et si elle le peut je lui demande de me pardonner», écrit le cinéaste. Dans le texte intégralement mis en ligne, celui-ci revient sur ses rendez-vous réguliers avec Adèle Haenel, décrits comme une manière de «maintenir [l]e lien» noué avec la jeune actrice pendant le tournage des Diables et de nourrir sa culture cinéphile. «Autant Vincent Rottiers avait besoin de retrouver sa famille et ses amis et ce n'est que plus tard que nous nous sommes retrouvés, écrit-il, mais Adèle Haenel a bondi sur l'occasion quand je lui ai proposé de nous revoir.» Jugeant l'enquête de Mediapart «d'apparence fouillée mais en réalité réductrice» et s'estimant victime des «piloris médiatiques», Christophe Ruggia écrit : «Je n'ai jamais eu à son égard, je le redis, les gestes physiques et le comportement de harcèlement sexuel dont elle m'accuse, mais j'ai commis l'erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu'une telle posture suscite