Les petits cadeaux et menus avantages dont l'industrie pharmaceutique n'est pas avare à leur endroit influencent-ils les prescriptions des médecins généralistes ? Dans un article publié ce mercredi dans la très sérieuse revue médicale anglaise The British Medical Journal, une équipe de six chercheurs rennais (quatre médecins et deux statisticiens) commence à combler l'actuelle carence d'informations disponibles sur un sujet pourtant potentiellement lourd de conséquences en termes de santé comme de financements publics. Selon le docteur Pierre Frouard, coauteur et coordinateur de l'étude, il existe bel et bien une corrélation entre le contenu des ordonnances et les marques de sympathie des laboratoires.
Pourquoi avez-vous décidé de vous saisir de cette question ?
De nombreuses études ont déjà montré qu’il existait une influence des laboratoires sur les prescriptions, mais aucune en France jusqu’à ce jour. Pour nous, l’idée était de chercher à savoir si les cadeaux des firmes pharmaceutiques sont associés à un profil de prescription particulier.
Sur quels types de données avez-vous travaillé ?
Nous avons – et c’est une première – croisé les informations contenues dans deux bases de données nationales. D’une part la base Transparence.sante.gouv.fr, créée en 2013 après le scandale du Mediator. Cette base permet à tout un chacun de consulter les liens financiers existants entre les firmes et les professionnels de santé. Pour notre part, nous nous sommes concentrés sur les cadeaux offerts par les firmes aux médecins généralistes, sans contrepartie en termes de travail : restaurant, hébergement, invitation, etc.
L’autre base de données que nous avons utilisée est le Système national des données de santé, géré par la Caisse nationale d’assurance maladie, qui collecte notamment des informations sur les prescriptions des médecins. Au final, nous avons étudié les cadeaux reçus et les prescriptions de plus de 41 000 médecins généralistes pour l’année 2016.
Pourquoi seulement les généralistes ?
Par commodité. Il existe pour cette population des indicateurs de prescriptions plus facilement accessibles que pour les autres spécialistes. Mais nous aurions pu travailler sur l’ensemble des médecins car tous sont des cibles à influencer pour les labos.
Qu’avez-vous mis en évidence ?
Premier constat de notre étude : près de 90% des médecins ont déjà reçu au moins un cadeau des firmes pharmaceutiques entre 2013 et 2016. C’est énorme. Ensuite, l’analyse des prescriptions permet une série d’observations intéressantes : les médecins qui n’ont jamais reçu de cadeau entre 2013 et 2016 font en moyenne des ordonnances moins chères, avec notamment plus de génériques, que les médecins ayant reçu des cadeaux en 2016. Leurs ordonnances sont en moyenne inférieures d’environ 5 euros à celles des médecins ayant reçu plus de 1 000 euros de cadeaux pour l’année 2016. Ils prescrivent aussi en moyenne moins de médicaments déconseillés par l’Assurance maladie, comme les benzodiazépines pour des durées longues (utilisés par exemple contre l’anxiété ou les troubles du sommeil) ou les vasodilatateurs.
Evidemment, la prudence s’impose : notre étude étant rétrospective, elle ne permet pas d’établir un lien de causalité entre le comportement des généralistes et les petits cadeaux des firmes. Ces résultats donnent cependant une idée de l’influence que ces dernières peuvent avoir sur les prescriptions.