Ça chauffe. Le gouvernement s'inquiète, mais espère bien contenir les foyers de contestation. Un an après la sortie non programmée des gilets jaunes sur les ronds-points, la grève des blouses blanches ce jeudi marque le coup d'envoi d'un automne social avec, en point d'orgue, la grève «reconductible» des cheminots et de la RATP, le 5 décembre, contre la réforme des retraites.
Braises
«Ça va tanguer», a mis en garde Edouard Philippe la semaine dernière devant les députés LREM. Mardi matin, au petit-déjeuner de la majorité, l'ancien disciple d'Alain Juppé, marqué par les grandes grèves de l'hiver 95, a prévenu qu'il faudrait «tenir».
Malgré les milliards d'euros votés en un an, les braises des gilets jaunes ne sont pas éteintes et d'autres fronts menacent : étudiants, agriculteurs, cheminots, enseignants, futurs retraités, policiers, pompiers… Avec une différence : l'an dernier, l'exécutif avait fait face à un mouvement soudain, catalysé par la hausse des prix à la pompe et s'exprimant, d'abord, comme un «ras-le-bol» de taxes. Les demandes de plus de justice sociale et de démocratie directe avaient suivi. Cette année, les manifestations restent sectorielles. De quoi rassurer une partie de la majorité, qui estime plus facile de répondre à des mouvements disposant d'interlocuteurs syndicaux. Sauf si, comme c'est le cas pour l'hôpital, les étudiants ou la SNCF ces dernières semaines, les organisations se font déborder. «Ce qui nous fait très peur, c'est d'être face à des gens avec qui on ne peut pas parler, alerte un membre du gouvernement. Ils nous disent : "On vous écoute, mais on ne vous fait pas confiance."» «C'est vrai que ça complexifie l'affaire. A la SNCF, c'est patent, s'inquiète-t-on à Matignon. L'extrême gauche est en baisse électoralement, mais elle reste très mobilisatrice.»
Carnet de chèques
Pour l'hôpital, le gouvernement a gardé dans sa manche un nouveau «plan» que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, doit annoncer une fois la température sociale prise jeudi. Pour les cheminots, l'exécutif pourrait offrir la «clause du grand-père», soit appliquer la future réforme universelle des retraites aux seuls nouveaux entrants. «Tout est ouvert», répète-t-on à Matignon une semaine après que le haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, a laissé apparaître ses divergences avec le Premier ministre et le chef de l'Etat, jugeant cette concession «impossible». Quant aux agriculteurs, ils ont déjà obtenu le retrait de la réforme des chambres d'agriculture, mais la contestation - contre le Ceta par exemple - reste forte. La colère étudiante qui s'exprime depuis l'immolation par le feu d'un jeune homme à Lyon (lire pages 10-11), peut vite se transformer en blocages. Et les enseignants, déjà en conflit avec leur ministre sur la réforme du lycée, n'auront aucun mal à retrouver le chemin de la rue pour peser sur les négociations salariales en cours ou rappeler qu'ils font partie des perdants de la réforme des retraites.
Résultat, pour éviter une coagulation à l'approche de Noël, le gouvernement risque de devoir sortir son carnet de chèques au détriment de ses engagements budgétaires. Et il n'hésite plus à retirer ou reporter la moindre mesure qui menace de faire de nouveaux mécontents : travail de nuit dans les commerces alimentaires renvoyé à de futures ordonnances, marche arrière sur la suppression des exonérations sociales pour l'emploi au domicile des personnes âgées… Avec un risque pour ce gouvernement qui se veut «réformateur» : apparaître comme «empêché» par une rue qui lui ferait peur… «L'idée d'une "pause" peut sembler rassurante, dit-on dans l'entourage de Philippe. Mais c'est aussi par l'accumulation de "pauses" des gouvernements précédents qu'on est dans la situation actuelle.» Si, dans son «acte 2», l'exécutif a promis de ralentir le «tempo» des réformes, les mobilisations freinent déjà leur mise en musique.