«Je vous contacte car je viens de découvrir votre article et le fait que je suis une victime de Christian N. Je ne sais pas du tout ce que je dois faire.» Depuis la publication de l'enquête de Libération sur les agissements de Christian N. au ministère de la Culture la semaine dernière, une quinzaine de femmes se sont fait connaître auprès du journal. Comme des dizaines d'autres, elles racontent avoir été intoxiquées aux diurétiques et poussées à uriner devant ce haut fonctionnaire, révoqué depuis, au cours d'interminables entretiens d'embauche rue de Valois, à Paris. Certaines auraient été aussi prises en photo à leur insu. Comme toutes les victimes, elles cherchent désespérément vers qui se tourner pour trouver du soutien. Et connaître tout simplement les démarches juridiques qu'elles peuvent entamer.
Mais depuis l'enquête de Libération, rien de nouveau n'a été annoncé par le ministère de la Culture. Interrogé vendredi sur Europe 1, le ministre de la Culture, Franck Riester, s'est déclaré atterré par «cette histoire complètement folle». «La justice va prendre les décisions qui s'imposent», ajoutait-il sans évoquer ni l'ouverture d'une enquête interne ni même la mise en place d'une procédure pour recenser ou aider les victimes. «A aucun moment le ministère ne s'est rapproché de celles qui étaient sur le fameux tableau Excel de Christian N. pour donner une quelconque info, voire un accompagnement», constate aujourd'hui un salarié du ministère qui souhaite rester anonyme. En interne, on dit même «n'avoir jamais vu la couleur de la cellule d'écoute».
Riester doit parler jeudi
Ce statu quo a poussé les syndicats à écrire ce mercredi matin à tous les personnels du ministère. Dans ce mail interne, signé par 7 syndicats (dont la CGT, la CFDT et la Snac-FSU), ils demandent d'«en finir avec l'omerta et l'impunité des violences hiérarchiques dans la fonction publique». Ils dénoncent par ailleurs «une situation systémique au ministère de la Culture […] où la couverture des actes de violence et d'abus de pouvoir est favorisée par un système hiérarchique vertical violent et rigide» et demandent «la protection fonctionnelle pour les victimes de Christian N.», «une enquête ministérielle approfondie» et «le retrait immédiat des labels Egalité et Diversité décernés au ministère de la Culture».
De son côté, le secrétariat général du ministère assure avoir la situation en main et promet d'envoyer «très prochainement» un message à tous ses agents pour rappeler l'existence d'une cellule d'écoute et la possibilité d'obtenir un soutien psychologique. Il concède toutefois ne pas avoir «une démarche pro-active» vis-à-vis des victimes qui ne travaillent pas ou plus rue de Valois : «Notre action est surtout dirigée vers les agents du ministère.» Comment Christian N., surnommé «le photographe» dans les couloirs du ministère, a-t-il pu agir autant de temps sans être inquiété ? Quelle est la responsabilité de sa hiérarchie de l'époque ? «Nous n'avons pas d'explication», répond le secrétariat général même si l'entourage de Franck Riester précise que le ministre s'exprimera sur le sujet devant le CNC jeudi après-midi.
«Révoltant»
En attendant, les victimes extérieures au ministère tentent de se débrouiller comme elles peuvent. «Malgré moi, j'ai un peu pris le rôle de la cellule d'écoute car on ne sait pas quoi faire, explique Alizée, qui témoignait dans Libération la semaine dernière. J'ai reçu l'appel d'une quinzaine de nouvelles victimes qui sont complètement démunies en plus d'être choquées.» Elles partagent plusieurs interrogations. Peuvent-elles bénéficier d'une aide psychologique et juridique ? Dans quel commissariat doivent-elles se rendre ? Qu'en est-il de la prescription des faits ? «Je trouve ça révoltant qu'après ces révélations, le ministère n'ait pas mis en place un numéro pour toutes celles qui se découvrent victimes», regrette Alizée qui a créé une conversation WhatsApp groupée en attendant «une aide des autorités».
A Strasbourg, une autre institution est touchée : la direction régionale des affaires culturelles de la région Grand-Est, où Christian N. a exercé après avoir travaillé pendant des années au ministère. Clémence Langlois, avocate, représente une ancienne fonctionnaire qui s'est reconnue dans l'article publié en mai dernier par le Canard enchaîné. «Les quais de Seine étaient devenus les quais de l'Ill», résume l'avocate, qui note que le mode opératoire de Christian N. dans l'Est est exactement le même que celui adopté à Paris. Pour connaître l'ampleur des agissements de Christian N. à la Drac, où il a travaillé près de trois ans, Clémence Langlois compte désormais attirer l'attention au niveau régional. Dans un communiqué à paraître que Libération s'est procuré, elle appelle toutes les femmes qui se reconnaîtraient à la contacter via une adresse mail dédiée. Avant peut-être que les pouvoirs publics ne prenne enfin le relais ?