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. Aujourd’hui, quatre questions pour décrypter des enjeux environnementaux.
Vantées à l'échelle locale, les vertus de l'agriculture biologique seraient bien moins évidentes si celle-ci en venait à devenir le modèle dominant. C'est ce que pointe un récent rapport publié dans la prestigieuse revue Nature, dans lequel ses auteurs imaginent que l'Angleterre et le Pays de Galles se sont convertis au bio. Alors certes, cette révolution agraire réduirait les émissions de gaz à effet de serre directement issues de la production agricole. Mais selon ces chercheurs, la baisse de rendements qui s'ensuivrait amènerait les Anglais à importer davantage de produits alimentaires pour compenser le manque, entraînant un surplus d'émissions de 21%.
Le développement de la bio ne serait donc pas si désirable que ça ? Pas si vite. Pour Sylvain Pellerin, ingénieur à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique), tout dépend de notre capacité à faire évoluer nos habitudes alimentaires. Le spécialiste, qui se dit «peu surpris par les conclusions de cette étude», fait le point sur les défis auxquels le développement de l'agriculture biologique sera confronté au cours des décennies à venir, sans jamais remettre en question le bien-fondé de ses principes.
A quelles difficultés l’agriculture biologique pourrait-elle être confrontée si elle venait à se généraliser ?
Une conversion au bio réduirait les émissions de gaz à effet de serre localement, notamment en raison de l'absence de recours aux engrais azotés de synthèse, source d'émission de protoxyde d'azote (N2O), un gaz à effet de serre contribuant également à la destruction de la couche d'ozone. En revanche, une telle conversion aurait des effets négatifs sur les rendements, qui diminueraient d'environ 20%, en partie parce que les cultures bio ne sont pas aussi bien protégées des maladies sans produits phytosanitaires. Cette étude évoque une baisse de la production agricole locale de 40% en raison de cette perte de rendements combinée avec la diminution des surfaces de production pour caser des prairies temporaires dans les successions de cultures.
A quelles conditions une agriculture 100% bio pourrait-elle être vertueuse ?
Le développement de la bio ne pourra être vertueux que si l’on change nos habitudes alimentaires. Le passage à une agriculture 100% bio implique d’augmenter dans les cultures la part des légumineuses (pois, lentilles, haricots…), capables de fixer naturellement l’azote, et donc de se passer d’engrais azotés de synthèse. Tout ceci au détriment des céréales, qui n’en ont pas la capacité et qui seraient les plus affectées par la baisse de rendements. Les effluents issus de l’élevage fournissent également de manière naturelle l’azote indispensable au développement des cultures ; d’ailleurs, les systèmes bio les plus viables sont ceux qui associent culture et élevage. A ce propos, si l’on augmente la part de légumineuses et de prairies temporaires aux dépens des céréales, il faudrait, tout en diminuant notre consommation de viande, privilégier l’élevage d’animaux capables de consommer cette herbe, c’est-à-dire les ruminants (bovins et ovins) plutôt que le porc ou la volaille. Or ce qu’on observe dans les pays développés de l’Ouest, c’est plutôt la tendance inverse.
Qu’en est-il de la capacité des pratiques de l’agriculture bio à favoriser le stockage du carbone dans les sols ? Comment évoluerait-elle dans un système agricole 100% bio ?
Les études scientifiques montrent que les stocks de carbone sont plus élevés dans les parcelles en bio que dans les parcelles en conventionnel, grâce aux engrais organiques (effluents d’élevage, compost…) qu’elle utilise. Cela fonctionne car la bio est encore minoritaire : si elle se généralisait, les exploitations seraient en compétition les unes avec les autres pour ces ressources en matières organiques. D’autres pratiques permettent néanmoins aussi de favoriser le stockage du carbone, comme la mise en place de cultures intermédiaires (ne jamais laisser le sol nu, assurer un couvert végétal qui fait entrer du carbone dans le sol via la photosynthèse), de prairies temporaires, ou encore de l’agroforesterie (qui consiste à associer des arbres et des cultures ou de l’élevage).
Quel serait selon vous l’équilibre à atteindre entre agriculture bio et agriculture conventionnelle pour minimiser les impacts sur le climat ?
C’est une question très difficile. L’agriculture biologique est encore marginale, de l’ordre de 7,5% de la surface agricole utile française, et l’ambition du gouvernement est d’atteindre 15% en 2022. La demande des consommateurs étant là, nous nous dirigeons vers une poursuite de l’accroissement des surfaces en bio et une coexistence des deux systèmes. A l’Inra, nous travaillons sur des scénarios où cette proportion monte à 50 voire 60%. Ce n’est pas forcément un optimum, mais ce sont des scénarios que l’on pense crédibles. Un tel changement d’échelle pose de nouvelles questions, sur lesquelles il faut s’interroger, sans pour autant en conclure que le développement de la bio est une mauvaise chose !