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Libération
Premier bilan

Convention climat : «On peut apporter le bon sens qui manque aux politiques»

Les 150 citoyens tirés au sort pour proposer des mesures contre le changement climatique entament ce vendredi leur troisième week-end de travail. Entre espoir et vigilance, ils livrent à «Libération» un premier bilan en demi-teinte.
Lors du premier week-end de la convention citoyenne pour le climat, au palais d’Iena à Paris, le 6 octobre. (Photo Nicolas Lascourrèges. Divergence)
publié le 14 novembre 2019 à 20h11

Restitution des débats, synthèses par groupe, mots-clés sur paperboard… La convention citoyenne pour le climat tente de cocher les cases de tout exercice de démocratie participative qui se respecte. Fin octobre, alors que les participants réunis dans l'hémicycle du palais d'Iéna, à Paris, étaient invités à rapporter leurs premières impressions et celles de leur entourage, deux termes revenaient sans cesse, notés sur leurs post-it. «Intérêt» et «scepticisme».

Voulue par Emmanuel Macron comme l'une des réponses à la crise des gilets jaunes au terme du grand débat national, la convention, qui rassemble 150 citoyens tirés au sort, a vocation à définir d'ici fin janvier des mesures permettant de lutter contre le réchauffement climatique. L'opposition, des ONG et certains professionnels y voient une manière pour l'exécutif de gagner du temps et d'habiller ses renoncements. Les citoyens, eux, semblent osciller entre vigilance et envie d'y croire… Et démontrent une sacrée implication. Avant le troisième de leurs six week-ends de travaux au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Libération leur donne la parole pour un bilan d'étape.

Leur mission

Quand leur téléphone a sonné à la fin de l’été, ils ont suspecté un canular ou cru à un démarchage publicitaire. Il leur a fallu googliser la convention citoyenne dont la création, pour la plupart d’entre eux, leur avait échappé. Puis franchir un second filtre opéré par un institut de sondage pour affiner les profils et diversifier le panel. D’un coup de dés, assaisonné de statistiques, les voilà propulsés comme acteurs d’un exercice démocratique inédit, vante l’exécutif, ou, pour ses détracteurs, comme décor et caution d’une grande opération de com. A voir.

Eux ont tenté. Qu'ont-ils à perdre ? «Avec mon épouse, on s'est dit que c'était une façon d'apporter notre pierre à l'édifice, a parié Guy, retraité de 60 ans, habitant d'un petit village près de Limoges. Je ne savais pas où je mettais les pieds, je ne suis toujours pas exactement fixé sur les tenants et les aboutissants, mais j'ai l'espoir de faire changer les choses.» Au départ «très circonspecte» et échaudée par l'épisode du grand débat national, «une fumisterie totale» à ses yeux, Yolande a pesé le pour et le contre. Et puis «l'occasion d'avoir une tribune sur l'écologie» et «l'idée d'être le cobaye d'un processus démocratique [qu'elle pourrait] étudier de l'intérieur» l'ont décidée. Très investie dans une multitude de causes, militante associative (Sortir du nucléaire, Greenpeace, Extinction Rebellion) et conseillère municipale d'opposition à Douarnenez (Finistère), cette tapissière d'ameublement fait le pari que «si la convention est de l'esbroufe, [elle pourrait] en parler en connaissance de cause».

Leur mission, puisqu'ils l'acceptent : trouver en quatre mois comment baisser «d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030 par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale». Vaste programme. Pour cela, les citoyens ont été répartis en cinq groupes de travail (se nourrir, se loger, consommer, se déplacer, produire et travailler) par tirage au sort.

Comme le hasard fait beaucoup de choses, c'est aussi ainsi qu'a été décidé le placement dans l'hémicycle. Les 150 membres ont dû se faire à ce principe du tirage au sort, qui ne donne pas d'emblée une légitimité à ces «ni élus ni experts». «C'est très compliqué de se positionner. On n'est "que" des citoyens lambda. Et comme l'exercice n'a jamais été fait, on n'a pas d'élément de comparaison, s'est beaucoup interrogé Grégoire, trentenaire à la tête d'un réseau d'associations en Normandie. Je m'y suis fait finalement, j'assume d'avoir été tiré au sort, moi et pas mon voisin. Ce n'est ni une chance ni une charge. C'est comme ça.»

Leurs attentes

Sélectionnés sans avoir postulé, les membres de la convention n'en paraissent pas moins ultra-investis. «Je vis, je mange, je dors convention !» s'exclame Guy. La mise en jambes, le premier week-end d'octobre, a pourtant été ardue. Tout juste installés, les citoyens ont été bombardés d'infos, de documents, de graphiques, histoire d'être mis au parfum.

Sur la forme, certains ont mal pris d'être placés en position de simples spectateurs, sans pouvoir prendre le dessus sur les intervenants. Quant au diagnostic sur le fond, l'expression «choc personnel» revient souvent. «Juste après, j'ai eu un coup de déprime», reprend Guy. «On nous a expliqué qu'il faudrait passer en moyenne de 11 à 2 tonnes de rejet de CO2 par personne et par an. Ce chiffre vous reste en tête longtemps», développe William, architecte-urbaniste de Nantes.

Reste que les tirés au sort sont entrés dans le sujet à fond, au-delà des week-ends durant lesquels ils siègent. Entre les sessions, ils échangent via une plateforme créée par la convention et leurs propres fils WhatsApp ou groupes Facebook. «Chaque matin, on reçoit des dizaines de messages, ça fourmille. Et chacun monte des initiatives sur son territoire», décrit Grégoire, qui a par ailleurs rencontré son maire, le fournisseur d'électricité Enercoop et plusieurs associations. «Plusieurs citoyens m'ont contacté, un étudiant m'a fait des fiches sur un sujet que je n'avais pas le temps de creuser. C'est de l'intelligence collective pour de vrai», s'enthousiasme le Normand qui, comme d'autres collègues, raconte les travaux sur Twitter.

A Paris, une poignée de citoyens a organisé une soirée-débat pour diffuser l'initiative et lancer des idées. De même pour Yolande, qui a réuni 80 personnes à Douarnenez. Chacun demande des rendez-vous à des élus, ONG, syndicats et entreprises. Manière aussi de se forger cette légitimité qui les taraude. Leur constat, quasi unanime : les solutions sont déjà formulées. «On ne va pas tout réinventer, beaucoup de propositions sont sur la table depuis des lustres», admet Jean-Luc, sapeur-pompier à la retraite. S'ils n'ont pas le bagage des spécialistes du climat, eux se voient en experts du quotidien. «On parle de la faisabilité de telle ou telle mesure, selon nos expériences, le lieu où l'on habite, poursuit-il. Des villes proposent la gratuité des transports. Très bonne idée mais dans mon petit village de la Somme, je n'ai même pas un bus.» «On veut surtout comprendre les blocages. On peut apporter ce bon sens citoyen qui manque parfois aux politiques», abonde Grégoire. Et si ces mêmes politiques sont bridés par la menace d'une défaite électorale, pas eux : «On n'a aucun intérêt financier ni électif, on peut avoir ce regard du temps long.»

Leurs doutes

La tâche est si immense, le champ si large, que nombre de citoyens souhaiteraient avoir davantage de temps. «A chaque fois qu'on aborde un sujet, on découvre de nouveaux problèmes, c'est infini. Les organisateurs nous ont dit qu'on allait très vite et qu'on aurait fini en janvier. Mais on n'y croit pas, même en travaillant beaucoup entre les sessions», témoigne Selja, lycéenne de 16 ans dans le Val-de-Marne, déjà très intéressée par l'écologie avant la convention. «Le temps file à toute allure et on a beaucoup de choses à dire. Je ne sais pas si nous serons capables de nous mettre d'accord sur des propositions dans le temps imparti», se demande Sarah, jeune prof des écoles à Bourges.

Le temps consacré aux débats est lui aussi jugé trop court. Notamment pour cuisiner et pousser dans leurs retranchements les experts et intervenants. D'autant que le casting pose parfois question aux citoyens : «Quand le PDG d'Aéroports de Paris est venu nous "vendre" des avions verts sans évoquer la privatisation et l'agrandissement de Roissy, je bouillonnais, dit Yolande. On nous demande de réfléchir à la façon de réduire les gaz à effet de serre et on le fait venir, lui. C'est du lobbying, il n'a rien à faire ici !»

Les interventions de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici (pronucléaire mais non présenté comme tel), du PDG de Système U ou d’un représentant de la FNSEA (sans son homologue de la Confédération paysanne pour l’instant) ont aussi fait grincer des dents. Même si les organisateurs semblent souvent soucieux d’équilibrer les débats. En témoigne l’affiche de ce week-end au sein du groupe «se déplacer» : Priscillia Ludosky, figure des gilets jaunes, côtoiera le président du constructeur automobile PSA, Louis Gallois.

Les citoyens ont aussi pu choisir qui convier à la convention, comme Nicolas Hulot, présent ce vendredi et particulièrement réclamé. Malgré ces efforts, certains citoyens n'hésitent pas à piquer des coups de gueule dans l'hémicycle, sur le mode «vous nous prenez pour des enfants !» ou «où voulez-vous en venir ?»

Lors du deuxième week-end, les longs exposés de plusieurs experts sur la taxe carbone en ont crispé plus d'un. «J'ai eu l'impression qu'ils essayaient de nous la refourguer, en nous en vantant les bienfaits. Mais elle va être difficile à faire avaler, rien que le terme "taxe carbone", les Français ne veulent plus l'entendre», estime Jean-Luc. Comme lui, beaucoup se disent vigilants, redoutant d'être orientés ou instrumentalisés. «Les gens ont cette petite peur et ça nous protège. Si on est manipulés, on aura tout le loisir de le faire savoir à la fin», veut pourtant se rassurer Grégoire pour «avancer».

«Cette convention, c'est hyper fatigant, il faut tout le temps être sur le qui-vive», lance Yolande. Qui s'alarme de la «crédulité» de certains, pour qui «c'est le dernier intervenant qui a parlé qui a raison». Et craint, elle aussi, que l'exercice ne serve en réalité qu'à «faire avaler le nucléaire, toujours qualifié ici d'énergie décarbonée, et la taxe carbone». Pour l'autoproclamée «grande gueule» de 59 ans, il faudrait au minimum que la taxe carbone soit «bien transparente, qu'on sache où va l'argent». Surtout, dit-elle, cette taxe «ne remet pas en cause le système destructeur dans lequel on est, c'est un pansement sur une jambe de bois». Yolande redoute que trop peu de tirés au sort n'osent «porter des choses qui tapent haut. Les mesures de colibris ne suffiront pas». Cette France en miniature, rassemblant tous types de profils et de sensibilités, parviendra-t-elle à s'accorder ? Modérés et partisans d'un autre projet de société ne risquent-ils pas d'accoucher d'un plus petit dénominateur commun bien timide ? Il est trop tôt pour le dire.

Leur horizon

En attendant de savoir ce que les citoyens mettront sur la table, s'il s'agira du fruit d'un consensus mou ou d'actions plus ambitieuses, quelques propositions se dessinent déjà. Rénover thermiquement l'ensemble d'une maison et non bout par bout, pour plus d'efficacité. Lutter contre le trop-plein de publicité. Obliger les industriels à indiquer sur leurs produits une «échelle carbone» pour avoir conscience de leur impact. Accroître la part des légumineuses dans nos assiettes pour remplacer une partie des protéines animales par des protéines végétales. Favoriser les circuits courts et le local… Autant de solutions qui existent déjà, parfois même sous forme de lois, «mais qui ne sont pas appliquées, surtout par manque de courage politique, non pas vis-à-vis des Français mais des lobbys», estime Guy, qui aimerait introduire dans le droit la notion d'écocide. Yolande s'intéresse, elle, à l'autosuffisance alimentaire des villes. Selja insiste sur le fait que les mesures proposées devront être «accessibles à tous», car «tout le monde n'a pas les moyens de s'acheter une voiture hybride».

Restera enfin à savoir ce que gouvernement et Parlement feront des conclusions de la convention. La réponse qui lui sera réservée sera le moment de vérité. Les citoyens gardent à l'esprit que le Premier ministre, Edouard Philippe, s'est engagé à porter leurs travaux «sans filtre», soit par référendum soit sous forme de propositions de loi. Nombre d'entre eux ont une préférence pour la voie référendaire. «Un texte proposé par des citoyens et validé par des citoyens, cela aurait beaucoup plus d'impact», avance William, qui sait aussi qu'en cas de bras de fer, la médiatisation et la diffusion de leur travail dans l'opinion leur donneraient du poids. Ce qui est trop peu le cas pour l'instant. Ceux qu'on est venus chercher et qui ont joué le jeu «ne sont pas venus travailler pour rien», prévient le Nantais. Qui précise : «Notre synthèse finale ne sera pas un rapport de préconisations, il posera des actes.» «Vu la très grande motivation de tous les citoyens, même si ça va être dur, on va réussir à se mettre d'accord puis à faire accepter nos propositions», pense Romane, lycéenne en Bretagne. «Les 150 sont en train de bosser, vraiment, ils ne sont pas juste en train de se tourner les pouces ou de se faire enfumer sans s'en rendre compte, avertit Yolande. Si nous ne sommes pas suivis, il y aura 150 gilets jaunes en plus dans la rue». Sarah opine : «On prend la chose au sérieux, on a envie d'être pris au sérieux en retour.»