«Etre mobile.» Ce serait, si on écoute l'entourage d'Edouard Philippe, la principale leçon retenue par le gouvernement depuis un an et l'irruption sur les ronds-points des gilets jaunes. «Mobile», c'est-à-dire aussi concéder plusieurs milliards d'euros pour tenter de répondre aux demandes de plus de justice sociale et de moins d'impôts exprimées par les gilets jaunes. Retour sur ces trois moments où l'exécutif a consenti, sous la pression, à lâcher 17 milliards d'euros.
Le 14 novembre 2018 : Philippe sort la petite monnaie
On l'a presque oublié, mais le gouvernement n'a pas attendu l'acte 1 des gilets jaunes, le 17 novembre 2018, pour concéder certaines mesures. Trois jours avant, au micro de RTL, le Premier ministre fait des annonces à forte coloration écolo-sociale, destinées à désamorcer la colère qui vient. Le chèque énergie, dispositif permettant d'aider les plus modestes à payer leurs factures de chauffage et d'électricité, sera «élargi» à 2 millions de foyers supplémentaires pour en concerner 5,6 millions. Edouard Philippe y va aussi à fond sur les «primes à la conversion». Les 20% des Français les plus modestes auront droit à 4 000 euros (contre 2 500 euros jusqu'ici) s'ils se débarrassent de leur vieux diesel contre un véhicule propre, et les personnes qui souhaitent arrêter le chauffage au fioul auront droit à des aides pour leurs nouvelles chaudières. Philippe dit alors vouloir «faire en sorte que les Français puissent se libérer de cette contrainte extraordinaire d'utiliser le fioul pour se chauffer».
Enfin, le chef du gouvernement annonce vouloir «élargir» les indemnités kilométriques aux «petites cylindrées les moins polluantes» et «défiscaliser» les aides au covoiturage mises en place par les entreprises ou les «chèques carburant» que les régions pourraient créer. En revanche, il reste ferme sur la première revendication des gilets jaunes : «Non, on ne va pas annuler la taxe carbone. Nous n'allons pas changer de pied, nous n'allons pas renoncer à être à la hauteur de cet enjeu qui est considérable.» Coût total de ces premières mesures : plus de 500 millions d'euros.
10 décembre 2018 : Macron ouvre grand le carnet de chèques
Les premières concessions d'Edouard Philippe, un mois plus tôt, n'ont pas calmé la colère. Au contraire : les gilets jaunes occupent les ronds-points nuit et jour, défilent… La capitale et certains centres-villes sont le théâtre de scènes de violences inédites. Dans une allocution télévisée depuis l'Elysée au plus fort de la crise, le président de la République annonce de nombreuses mesures qui vont peser dans les budgets de l'Etat et de la sécurité sociale : annulation des hausses prévues de taxe carbone (3 milliards d'euros rien que pour 2019), retour à un taux de CSG de 6,6% pour certains retraités (1,3 milliard), défiscalisation des heures supplémentaires (plus de 3 milliards), revalorisation et élargissement de la prime d'activité (2,3 milliards) : en quelques minutes, le chef de l'Etat lâche 10 milliards d'euros, dont la plupart bénéficieront aux Français situés dans le bas de l'échelle des revenus. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences-Po Paris évoque quelques semaines plus tard un «rééquilibrage rapide et massif en faveur des ménages moins aisés».
Macron accepte alors d'alourdir le déficit public du pays mais fait le choix de «rendre du pouvoir d'achat». Ce qui permettra au passage de soutenir la croissance du pays. Bercy, les instituts économiques et la Banque de France font tous le même constat : ces milliards injectés permettront de «maintenir» la croissance française autour de 1,3 ou 1,4%, soit au-dessus de la moyenne de la zone euro. Selon différentes études économiques, ces «mesures d'urgences économiques et sociales» feraient augmenter le «revenu disponible» des Français (autrement dit leur pouvoir d'achat) de près d'un point. Ce qui inspire un ancien ministre socialiste croisé il y a quelques mois : «Les gilets jaunes ont obtenu en un mois de Macron ce que nous avons réclamé à Hollande pendant cinq ans.»
25 avril 2019 : l’exécutif accorde une belle rallonge
Plusieurs mois ont passé. Les ronds-points se sont vidés et les «actes» organisés par les gilets jaunes sont plus ou moins clairsemés. Emmanuel Macron a joué la carte du «grand débat national» pour se donner de l'air et des marges de manœuvre politiques. Pour sa première grande conférence de presse organisée dans la salle des fêtes de l'Elysée, le Président annonce de nouveaux milliards qui, contrairement aux précédents, seront accordés en 2020 et non en 2019. Le chef de l'Etat confirme alors une baisse «significative» de l'impôt sur le revenu (5 milliards d'euros) et une «réindexation» sur l'inflation des pensions de retraite inférieures à 2 000 euros par mois (près de 2 milliards). En 2019, elles avaient été augmentées d'à peine 0,3%, soit moins que la hausse des prix, entraînant une perte de pouvoir d'achat pour les retraités. Et un décrochage massif de Macron auprès de cet électorat stratégique.
Ces nouvelles annonces se sont traduites cet automne dans le projet de loi de finances pour 2020 et celui de financement de la sécurité sociale. Le gouvernement ayant pris soin de «cibler» les premières tranches de l'impôt sur le revenu et de «neutraliser» les plus hautes pour éviter d'être à nouveau accusé de faire des «cadeaux aux riches». Lors de cette même conférence de presse, Emmanuel Macron promet de financer cette baisse d'impôt par la suppression de niches fiscales réservées aux entreprises et la nécessité de «travailler davantage», c'est-à-dire «plus longtemps». Mais, dans les faits, la fin des avantages fiscaux pour certains secteurs (gazole non routier, déduction forfaitaire spécifique et mécénat) est limitée : 600 millions d'euros en 2020 quand le gouvernement annonçait 1 à 1,5 milliard. Résultat, sans le clamer, l'exécutif finance cette rallonge par les milliards issus du «coût de la dette», bien moins cher qu'espéré grâce aux taux d'intérêt restés bas, mais aussi au maintien d'un déficit public à -2,2% l'an prochain quand il était attendu, en début de quinquennat, bien avant les gilets jaunes entre -0,9 et -1,4%.