«Ces emprunts ont été surnommés prêts toxiques, moi, ils me rendent malade», lance Léonard Pizzato, à la barre de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris, vendredi après-midi. Un sentiment partagé par toutes les parties civiles présentes à l'audience, en ce quatrième jour du procès Helvet Immo, du nom de prêts octroyés en 2008 et 2009 par BNP Personal Finance (une filiale détenue par BNP Paribas à 100%), contractés en francs suisses mais remboursables en euros.
Venus des quatre coins de France, de tout âge et de toute profession, ces hommes et ces femmes venus témoigner de leur situation ont tous en commun d'être pris dans un engrenage qui les dépasse après l'envolée de la monnaie helvète face à la devise européenne. Aujourd'hui le capital qu'ils doivent à la banque est supérieur à la somme empruntée au départ, alors qu'ils remboursent leurs mensualités depuis une décennie. Défaut d'attention des particuliers ou «pratique commerciale trompeuse» de la part de la banque ? C'est ce procès qui doit trancher. «Il n'y a que la justice qui peut stopper cette hémorragie», continue Léonard Pizzato.
«Stabilité» et «sécurité»
Les points communs ne s'arrêtent pas là. Tous ces foyers modestes ou de la petite classe moyenne, ont souscrit ce prêt pour acheter un bien immobilier à vocation locative, en vue de se constituer un complément de retraite ou d'aider leurs enfants plus tard. Ou les deux, comme Gilbert et Mireille Pelini, qui ont acheté en 2008 un appartement dans une résidence pour séniors, pour ne pas être à la charge de leur fille une fois retraités. Le mode opératoire est le même : des courtiers ou des conseillers en gestion du patrimoine leur présentent un «package clé en main», comprenant un bien immobilier et le prêt Helvet Immo pour le financer. Une «offre innovante» extraordinairement avantageuse dont les maîtres mots sont «stabilité» et «sécurité» font-ils valoir aux acquéreurs.
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Tous finissent par faire confiance à ces intermédiaires, à qui ils exposent pourtant leur volonté de ne pas prendre de risques. Face à leurs inquiétudes à propos de l'emprunt en francs suisses, des propos rassurants leur sont tenus. «On m'a dit de ne pas m'inquiéter, que le taux de change entre le franc suisse et l'euro avait toujours été stable, graphique à l'appui qui montrait une courbe linéaire. Le franc suisse m'a été présenté comme une monnaie refuge, et vu mon niveau d'études et mes connaissances en économie, ça me semblait être synonyme de sécurité», explique Didier Gras. Tous ceux qui témoignent à la barre parlent aussi d'une «vraie confiance, voire une certaine fierté d'emprunter auprès de la BNP, banque réputée, qui a pignon sur rue», comme l'explique Jacques Sbriglione, un maçon de 49 ans.
Les clauses à propos de la variation des taux de change étaient écrites, dans les dernières pages de l'offre. Mais le mot «risque» n'y figure pas. «Savez-vous faire la différence entre la viande de cheval et la viande de bœuf ?» demande Me Constantin-Vallet, avocat des parties civiles, à Xavier Vantilcke, un boucher qui a souscrit un prêt en 2008. «Bien sûr, dans mon domaine, je suis très bon, mais dans le domaine bancaire, très mauvais. Comment percevoir les risques quand on ne connaît rien au système financier ?» Julien Da Conceicao, kinésithérapeute, renchérit sur les métaphores professionnelles : «Quand je prescris un traitement révolutionnaire, j'expose les bienfaits mais surtout les risques que cela peut comporter.»
Etat psychologique grave
Les explications incertaines des témoins reflètent qu'aujourd'hui encore, ils peinent à comprendre les termes du contrat qu'ils ont signé une dizaine d'années auparavant. Pourtant, le même piège s'est refermé sur eux : vendre le bien qu'ils ont acquis pour rembourser leur emprunt et tourner la page, reviendrait à une «double peine», leur valeur ayant énormément baissé. Et convertir le prêt en euros reviendrait à augmenter immédiatement les mensualités. Un luxe inaccessible pour la plupart de ces foyers.
Toutes les parties civiles partagent enfin la même détresse et la même colère. «Je suis au 15e round d'un combat de boxe, épuisé par les coups, sur un ring où les banquiers sont debout et nous, nous sommes à terre», se désole Léonard Pizzato. Il a emprunté 220 000 euros en 2008 et en doit aujourd'hui près de 250 000. Derrière les chiffres, des vies brisées. Comme celle de François Coelho, un jeune développeur web de 35 ans, qui ne se voit pourtant aucun avenir. En 2009, CDI en poche, il signe sur le capot d'une voiture l'offre de prêt de 118 100 euros pour financer son premier achat immobilier, et commet «en toute ignorance l'erreur de [sa] vie». Fauché après trois ans de mensualités, on lui conseille de convertir son prêt en euros : «Le dernier coup sur un clou qu'on enfonce pour de bon.» Commence alors une spirale d'ennuis financiers, de l'interdit bancaire faute de pouvoir rembourser les mensualités à l'expulsion de son logement, en passant par la vente aux enchères de l'appartement pour lequel il avait investi, au quart de son prix d'origine.
Aujourd'hui, le trentenaire est dans un état psychologique grave, qui ne lui permet plus de travailler à temps plein. A la barre, il craque. Tout comme Martine Delamaere, 63 ans, une femme de ménage retraitée qui a emprunté 139 000 euros en 2008 et qui doit encore 166 000 euros à la banque malgré dix ans de mensualités remboursées. L'appartement qu'elle a acheté à 139 000 euros en vaut aujourd'hui 44 000. «On ne s'en sortira jamais, si on ne peut pas payer avant de s'en aller, on fait quoi ?» s'inquiète-t-elle, des pleurs dans la voix. Silence de plomb dans la salle. «A vous de me répondre !» lance-t-elle aux représentants de la banque présents. Une autre partie civile, Muriel Létocart s'adresse aux mêmes représentants : «Je voudrais juste demander à M. Villeroy de Galhau, qui dirigeait la BNP [Personal Finance] à l'époque et qui est maintenant gouverneur de la Banque de France, si lui aurait souscrit à ce prêt», avant de retourner s'asseoir sous les applaudissements des autres témoins.
De cette détresse commune est née une solidarité. A la suspension de séance, les plus optimistes rassurent les plus désespérés. Brice Gay a créé, en 2011, le collectif Helvet Immo et a reçu des milliers de mails d'autres emprunteurs, certains très alarmants. «Un homme est venu me voir pour me remercier, en me disant que sans le collectif, il aurait fait une bêtise», explique-t-il. François Coelho confie d'ailleurs : «Sans la perspective de ce procès, je ne serais peut-être plus de ce monde aujourd'hui. Ça va faire dix ans que j'attendais de pouvoir témoigner.»
Francine Mercier est aussi dans un cas dramatique. Cette ancienne professeure de français de 78 ans était déjà retraitée quand elle a emprunté 130 800 euros, qu'elle devait rembourser en vingt et un ans. Aujourd'hui, elle doit 133 994 euros et son prêt s'étend désormais jusqu'à ses 93 ans. Venue à Paris depuis Toulon malgré ses difficultés pour se déplacer, elle est «bouleversée» : «Tous ensemble, on se soutient, mais en même temps on se rend compte de l'ampleur de l'affaire. C'est une honte.» Tous espèrent, à l'issue du procès, être fixés sur le montant à rembourser mais surtout d'obtenir la reconnaissance des préjudices subis. «Ça a gâché dix ans de notre vie, et ça, ça n'a pas de prix, se désole Xavier Vantilcke. J'aurais dû écouter mon père qui me disait toujours : "Faire confiance, c'est bien. Ne pas faire confiance, c'est mieux."»