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Libération
à la barre

Procès Helvet Immo : le témoignage accablant d'une ex-cadre de BNP Personal Finance

Entendue lundi devant la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Nathalie Chevalier a expliqué comment ce prêt toxique a été lancé en 2008 en dépit du «risque énorme» pour les emprunteurs.
BNP Paribas à Lille en 2014. (Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 18 novembre 2019 à 20h03
(mis à jour le 20 novembre 2019 à 9h36)

A la fin de son audition, lorsqu'une dizaine de personnes se sont approchées d'elle pour la remercier, Nathalie Chevalier n'a pu retenir ses larmes. Une émotion contenue pendant près de trois heures à la barre, durant lesquelles l'ancienne cadre de BNP Personal Finance a livré un témoignage accablant sur les méthodes de la banque, poursuivie pour «pratique commerciale trompeuse».

Robe noire et foulard noué autour du cou, celle dont l'audition devant la juge d'instruction avait constitué un tournant de l'enquête sait à quel point son témoignage est capital. Au sein de la banque, elle est la seule à s'être opposée au lancement de Helvet Immo, ce prêt immobilier contracté en francs suisses mais remboursables en euros, qui vaut aujourd'hui à des milliers d'emprunteurs une panade financière.

«D'emblée, je n'ai pas compris grand-chose», souligne Nathalie Chevalier, alors chargée d'établir l'argumentaire commercial du produit. Inquiète du risque lié au taux de change, elle demande à consulter les «crash test», des simulations démontrant que le capital restant à rembourser peut «s'envoler de façon significative». Lorsqu'elle pointe «un risque énorme pour les clients finaux, mais aussi pour l'image de BNP», sa hiérarchie réplique qu'elle n'est pas «assez intelligente pour comprendre le produit» et lui donne «quinze jours pour changer d'avis».

 Intervention des pompiers

«On m'a expliqué que si le prêt n'était pas lancé, la filiale et ses 200 salariés étaient menacés», poursuit-elle avant d'être interrompue par un bruit sourd au fond de la salle. Un homme vient de s'effondrer, victime d'un malaise. «C'est l'émotion, souffle son avocate. Ça fait dix ans qu'il attend ce procès.» Après évacuation de la salle et intervention des pompiers, l'audience reprend dans une ambiance pesante.

«Si on avait expliqué comment fonctionnait l'offre, on ne pouvait pas la vendre», poursuit Nathalie Chevalier. Alors il faut mentir aux clients, et leur expliquer que le capital restant à rembourser «ne peut augmenter que de quelques centimes d'euros». Cet «enchaînement de désinformation» va de BNP Personal Finance aux intermédiaires, et des intermédiaires aux emprunteurs. La banque veille toutefois à écarter les profils à «forte potentialité de nuisance». «Comme les avocats ou les journalistes», précise-t-elle. Rires gênés dans la salle.

En 2010, lorsque des centaines de clients commencent à s'inquiéter de voir l'euro décrocher face au franc suisse et le capital dû à la banque s'envoler, Nathalie Chevalier est de nouveau sollicitée par sa hiérarchie, cette fois pour gérer la crise. Avec d'autres collègues, elle est alors chargée de répartir les dossiers litigieux en deux piles. D'un côté ceux qui risquent de porter lourdement préjudice à la banque en cas de poursuites, et avec qui il vaut mieux transiger rapidement. De l'autre ceux à la «dangerosité» moindre, qu'il convient d'écarter. Au cours de cette période, l'ancienne cadre reçoit de nombreux emprunteurs, dont elle constate la «détresse». L'un d'eux menace même de s'immoler devant le siège de la banque. «J'ai pu en sauver dix, dit-elle la voix chevrotante. Tous les autres ont été refusés.»