Au Congrès des maires de France, les proclamations républicaines cohabitent avec la foire, en l’espèce le Salon des maires et des collectivités locales. Tous les institutionnels sont là, du ministère de l’Intérieur, énorme et visible dès l’entrée, à celui de la Cohésion des territoires, dans son sujet, jusqu’aux banques, assurances, mutuelles et fédérations en tout genre, 21 au total. A quoi s’ajoutent les grands opérateurs des travaux publics, de l’eau, de l’assainissement, du bâtiment qui utilisent davantage cette vitrine pour soigner leur relationnel que pour signer des contrats.
Loin de ces mastodontes, les marchands. C'est fou tout ce qu'une commune peut acheter. Voici la sympathique boutique «Evénements et tendances, cadeaux pour vos fêtes et festivités». On y voit «le Livre de notre mariage», sous-titré : «Ici le nom de votre ville.» Ou encore des boîtes à gâteaux contenant un ours en peluche. «Pour les naissances», explique Laurent Guillemet, directeur de la société. Le maire offre un nounours à chaque naissance ? «Dans les petites communes, oui.» Qu'on ne se méprenne pas : quand les dotations de l'Etat aux communes sont en baisse, le budget pour ces babioles ne souffre pas. «Pour une vingtaine d'euros, les élus voient l'impact sur les gens.»
Bâton
Dans les halls du parc des expositions de la porte de Versailles à Paris, dès le matin, nombre de visiteurs ont dans la main un bâton de berger, offert sur on ne sait quel stand, qu'ils trimballent toute la journée. D'autres portent une écharpe qu'on leur a collée autour du cou chez Orange. Comme Altice, propriétaire de SFR (et de Libération), l'opérateur occupe une solide surface de salon. Mardi, le président de la République a rappelé dans son discours aux maires que l'Etat avait débloqué 4 milliards d'euros pour développer le très haut débit et chacun de ces gros opérateurs expose sa carte du pays hérissée de ses points de conquête.
L'implantation des stands crée des voisinages bizarres : la Brink's est collée aux huissiers de justice. D'un côté, on lit : «Pots, jardinières et joie de vivre.» Et de l'autre : «Cimetières, évitez la saturation !» Dans les allées, les visiteurs se photographient comme sur un site touristique, tandis qu'un jeune homme envoyé par on ne sait quel exposant distribue des roses blanches que ces dames vont se coltiner toute la journée.
Certains exposants ne sont pas là pour vendre leur camelote mais pour convaincre les élus de les aider à le faire. Ainsi, la chaîne de boulangeries Marie Blachère, 530 magasins d'ici la fin de l'année, «à 99 % sur les entrées et sorties de villes, les axes majeurs, à côté des supermarchés ou des centres commerciaux», comme le résume Marc Béridon, directeur du marketing. L'enseigne n'a pas loué cet imposant stand pour écouler des croissants. Mais pour trouver d'autres villes où s'installer. Le responsable du marketing, sans doute conscient de la réputation de sa société, se défend : «On embauche des boulangers, des apprentis et on fabrique sur place avec des farines françaises». Ce concept de boulangerie de rond-point ne signe-t-il pas la mort de ses homologues de centre-ville ? Marc Béridon sort une réponse type : «C'est au client de faire son choix.» A en juger par la foule qui se presse pour se goinfrer de viennoiseries, les élus ont fait le leur.
Plus modeste, l'inventeur du Green Tukky, camionnette électrique de vente de crêpes et glaces, «100 % autonome», comme l'assure le monsieur du stand, vient chercher des autorisations d'occupation du domaine public. Sinon, ses franchisés l'auront dans le baba.
L’équipement d’une ville, c’est sans fin. On navigue entre les fabricants de mobilier scolaire, qui s’est perfectionné côté entretien : toutes les chaises se glissent sur les tables pour le balayage. L’activité reste très franco-française : Saônoise de mobiliers, 154 ans d’existence, usine à Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) ; Wesco, équipe aussi les crèches, 230 personnes à Cerizay (Deux-Sèvres). On est pris de vertige devant la quantité de fabricants de pelouses artificielles, de piscines en inox ou d’éléments de gym d’extérieur.
Autre article de plein air : le barbecue. Devant le stand Créat'aire, deux techniciens de Limoges scrutent un modèle double feu. Un barbecue dans un parc public ? «Les gens en font déjà entre deux pierres à la sauvage. Autant avoir un équipement», soupirent les deux experts. La société en a vendu deux à trois cents en France depuis cinq ans, «et on nous en commande d'autres».
Canons
Reste que pour équiper la France des clochers, il faut des cloches. Paccard est «fondeur campaniste depuis 1796». 1796 ? Alors que la Révolution les avait toutes décrochées pour faire des canons ? Anne Paccard, «épouse de la septième génération et fournisseuse de la huitième», raconte comment son ancêtre a fondu la première cloche de Quintal, près d'Annecy, après la confiscation. La société emploie 24 personnes, vend 300 à 500 cloches par an dont 80 % à l'export. L'entretien assure la moitié de son chiffre d'affaires. Faute de marché de renouvellement, Paccard vend un grand carillon à plusieurs cloches qui s'emploie comme un instrument de musique. Les mairies peuvent programmer la Marseillaise ou des chants de Noël, confier le carillon à un musicien qui en jouera, ou l'utiliser pour accompagner un chanteur. «Vous aimez Cabrel ?» demande Anne Paccard. Et la voilà qui prend le micro, s'installe dans l'allée et chante. Les cloches font ding-dong en rythme. Les visiteurs sortent les téléphones, le stand d'en face vend du mortier hydraulique coulé sur voirie. Il n'y a qu'au Salon des maires que l'on peut voir ça.