A la barre de la treizième chambre du tribunal correctionnel de Paris, l'offre de prêt «Helvet Immo», proposée par BNP Personal Finance (filiale de BNP Paribas à 100%) a été passée au crible mardi après-midi. Un contrat «technique» de 40 pages, avec des formules «complexes», ont pointé les avocats des emprunteurs qui ont souscrit ce prêt en vue de financer l'achat d'un bien immobilier à vocation locative. La banque comparaît pour «pratique commerciale trompeuse».
Souscrit en francs suisses mais remboursable en euros, Helvet Immo commercialisé par BNP PF en 2008 et 2009 s’est révélé catastrophique pour les consommateurs après l’envolée de la monnaie helvète face à l’euro. Ils doivent maintenant des sommes supérieures au montant emprunté, au départ, alors qu’ils remboursent leurs mensualités depuis une dizaine d’années. A la lecture de l’offre de prêt, les emprunteurs étaient-ils réellement en mesure de comprendre que leur prêt comportait un risque de change ?
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Sur les 40 pages de «bla-bla de banquier», comme l'a décrit à la barre une femme qui a souscrit ce prêt, pas une seule fois ne figure le mot «risque». Selon les avocats des parties civiles, aucune phrase n'attire particulièrement l'attention sur la possibilité d'une augmentation importante du capital dû à la banque en cas de variation forte de la parité euros-franc suisse. Ni sur un le danger de déplafonnement des mensualités, c'est-à-dire l'augmentation du montant des traites à rembourser et la prolongation de l'emprunt au-delà de la date d'expiration prévue, jusqu'à extinction de la dette.
«Décalage»
Les éléments juridiques qui encadrent le prêt, figurent bien au contrat, mais ils sont éparpillés au fil des clauses, et leur formulation peine à être compréhensible pour l'emprunteur. «Je me concentre pour vous écouter, et M. Tout-le-monde est censé avoir compris ?» lance la présidente du tribunal à Marc Feltesse, qui représente la BNP à ce procès. «C'est un discours très complexe, vous ne trouvez pas qu'il y a un décalage entre cette réalité et le public auquel ça s'adressait ?» questionne encore la magistrate. Mais Marc Feltesse répond en substance que la BNP a été «suffisamment claire». Pas d'accord riposte l'avocat des consommateurs. Il fallait certains «prérequis» pour saisir les risques du contrat, souligne ainsi Me Constantin-Vallet, qui représente 1 150 parties civiles. Comme celui de savoir que le taux de change varie en permanence, que la parité entre deux monnaies peut évoluer considérablement en quelques jours, et que tout cela a impact direct sur leur capital à rembourser. Mais pour Marc Feltesse il s'agit là d'«une connaissance de la vie courante».
«Tout le paradoxe, c'est que ce qui a été présenté comme étant sûr est le plus risqué possible. Le franc suisse rassure, car il s'agit d'une monnaie refuge, mais c'est précisément cela qui est à l'origine de l'envolée du taux de change. Ce paradoxe, il fallait des connaissances bancaires pour le saisir», affirme Me Benjamin Potier, avocat d'une des 2 300 parties civiles à ce procès. Difficile pour la banque de juger si ses emprunteurs étaient des consommateurs moyens ou des «investisseurs avertis des risques» comme le prétend dans une lettre adressée à un client, François Villeroy de Galhau, ancien directeur de la BNP Personal Finance (aujourd'hui gouverneur de la Banque de France) dont le nom plane sur ce procès (son courrier a été cité à l'audience par Me Constantin-Vallet). C'est lui qui a donné, début 2008, le feu vert à la commercialisation d'Helvet Immo qui a mis dans la panade les 4 655 ménages qui l'ont souscrit. Au sein même de la banque, des cadres avaient pointé le danger de ce prêt pour les consommateurs et pour l'image de la BNP.
Effort de pédagogie
De plus, pour la commercialisation, aucune rencontre en face-à-face n'a été organisée entre des employés de la banque et les clients : des sociétés intermédiaires se sont chargées de le diffuser auprès de ces ménages qui achetaient des logements à vocation locative. Les intermédiaires eux-mêmes, tout comme les notaires, pourtant habitués à ces termes techniques, paraissaient avoir mal compris. Des actes notariés ne mentionnent pas «la monnaie helvète, particularité centrale du prêt» a souligné l'avocate d'une partie civile. Certains collaborateurs de la banque, notamment le directeur régional de Marseille, avouaient à l'époque ne pas comprendre non plus certaines clauses de l'offre de prêt. D'où la nécessité, a minima, d'un effort de pédagogie de la part de la banque.
D'ailleurs, Me Mikaël Le Bot, avocat des parties civiles, cite d'autres offres de prêt similaires proposées par des banques concurrentes, qui mettent en garde de manière très claire les emprunteurs sur le risque lié aux taux de change. Une formulation qui a le défaut d'être moins vendeuse ? En marge de l'audience, Ludovic Malgrain, avocat de la banque, estime que l'«offre [de BNP PF] est plus précise car elle ne mentionne pas juste un risque mais explique les mécanismes du prêt». Pourquoi ne pas avoir alors mentionné clairement les risques en plus d'expliquer les mécanismes ? «Ce n'est pas le choix qui a été fait», répond-il.
A partir de l'explication factuelle d'un mécanisme financier, les emprunteurs novices devaient eux-mêmes deviner le risque d'engrenage qu'un tel montage sous-entendait. «Si on vous vend un produit qui est susceptible d'exploser, j'imagine que vous souhaiteriez être informé du risque qu'il présente ? demande Me Potier au représentant de la BNP Personal Finance qui se tient à la barre. Comment souhaiteriez-vous que l'on vous informe : que l'on vous dise "attention ce produit peut exploser" ou que l'on vous fasse une description minutieuse et très précise des composants, des phénomènes chimiques de combustion qui pourraient mener à l'explosion, mais sans jamais la mentionner ?» interroge encore l'avocat. Pas de réponse précise du représentant de BNP PF, qui s'en tient à sa ligne de conduite : les éléments figurant au contrat étaient suffisants.