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Chronique «Vous êtes ici»

Ils font du logement en partant des habitants

Chronique «Vous êtes ici»dossier
Chaque semaine, une histoire de villes, de villages et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, deux méthodes pour que les appartements conviennent d'abord à ceux qui vivent dedans. Très rare.
Projet Unité(s) de Sophie Delhay (Photo Bertrand Verney)
publié le 22 novembre 2019 à 7h57

Construire un immeuble et prétendre y placer des appartements adaptés aux envies de chaque habitant semble aussi impossible que de faire entrer un rond dans un carré. Le sur-mesure, c’est ce que l’architecte peut offrir dans la maison individuelle, éventuellement dans la rénovation. Le collectif individualisé a tout l’air d’un oxymore. Pourtant, c’est possible. Deux architectes en ont récemment fait la démonstration : le premier dans la promotion privée ; la seconde, encore plus surprenant, dans le social. A chaque fois, plus qu’un plan, il y a une méthode.

Le BOB par Pascal Gontier

BOB pour Bespoke Open Building. «Le bespoke, explique l'architecte, c'est le sur-mesure chez les tailleurs anglais.» Ramené à un immeuble, le mot traduit une personnalisation des volumes, de la taille, de l'organisation intérieure, et même du morceau de façade lié au logement. Dit comme ça, la démarche paraît folle : un immeuble conçu ainsi n'a-t-il pas de fortes chances de ressembler à une pile d'assiettes dépareillées dans laquelle on aurait entassé des soucoupes sous des plats à gâteaux ? Un peu mais ce n'est pas forcément un problème.

Comment ça marche ? Il faut un promoteur qui a envie d'essayer, en l'espèce Quartus, et une ville que cela ne rebute pas, ici Floirac (Gironde). L'architecte dessine d'abord une «architecture primaire», avec ses plateaux, ses cages d'escalier et d'ascenseur, ses gaines, ses locaux communs. Cette base est immuable. Après, on divise en lots, qui peuvent être sur un ou plusieurs niveaux. «A Floirac, le bâtiment était prévu pour 26 logements et il y en aura sans doute 22 au final, parce que les gens ont pris plus grand», explique Pascal Gontier.

En suite de quoi intervient «l'architecture secondaire, qu'un autre architecte que moi pourrait très bien faire», qui est celle de l'aménagement proprement dit. On n'est pas dans l'habitat coopératif où les habitants forment un groupe autour d'un projet partagé. Là, c'est bien une relation singulière entre l'architecte et son client qui s'établit. «Après, si les gens ont envie de se connaître, tant mieux.» Dans ce système, la façade se dessine en dernier. Elle est la résultante de l'intérieur, ce qui, au fond, remet les priorités dans le bon ordre.

La méthode comporte quand même des règles. «Nous avons une boîte à outils, une bibliothèque d'éléments de construction pour les portes, les fenêtres, les balcons, les garde-corps, les jardins d'hiver, les bacs à plantes, les meubles intégrés, explique l'architecte. Il faut quand même un minimum d'harmonie.» Autres règles : celles qui empêchent de créer des lots résiduels plein nord, des vues plongeantes chez le voisin. «En fait, nous avons pensé le bâtiment comme une petite ville dans laquelle on appliquerait un PLU vertical.»

La mise en pièces par Sophie Delhay

En mai 2019, l'architecte dijonnaise a livré au bailleur social Grand Dijon Habitat un immeuble de… 240 pièces, dont 43 extérieures et 10 réservées pour un espace partagé. L'architecte utilise cette unité de compte car la pièce de 3,60 m sur 3,60 m, soit 13 m2, est le module de base du bâtiment. Une chambre ? Une pièce. Un salon ? Une pièce. Une salle de bains ? Une demi-pièce. Une cuisine ? Une demi-pièce.

Seule constante : la pièce centrale donne sur la cuisine. Après, on place les chambres en diagonale, en alignement, comme on veut. C'est du transformable sans travaux. On peut expédier le salon à l'autre bout de l'appartement. «Pour que ça fonctionne, il faut que toutes les pièces reçoivent le mieux», explique Sophie Delhay. Soit des stores occultant pour faire le noir quel que soit l'usage, les mêmes grandes fenêtres partout et des ouvertures d'1,20 m entre chaque pièce avec portes coulissantes. Encore plus malin, l'entourage des fenêtres accueille les rangements et forme ainsi une alcôve. «L'idée, c'est qu'on puisse avoir chez soi une ultime intimité, et pas au bout de l'appartement», dit l'architecte.

Tous les appartements ont une loggia ou une terrasse, l'immeuble en gradins fait le lien entre un quartier pavillonnaire et un futur ensemble d'immeubles collectifs. 43 logements au prix de la construction sociale. L'immeuble est dans la liste des nommés pour l'équerre d'argent qui sera remise lundi. Que demande le peuple ? Qu'on la lui donne !