C'est peu dire que la séance est attendue. Lundi, le conseil municipal de Marseille doit débattre - enfin - du rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) portant sur la gestion de la ville par l'équipe Gaudin. «Ce rapport est un document accablant, qui montre qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion», tacle Benoît Payan, chef de file du groupe PS. Pour Jean-Marc Coppola, élu PCF, ce n'est que «la partie visible d'un système» : «Il faudrait une vraie investigation pour mettre à jour la partie opaque.» Côté extrême droite, Stéphane Ravier (RN) y va à la pelleteuse : «La chambre ne peut l'écrire, mais […] tous les élus qui gèrent la ville, du conseiller municipal délégué, à l'adjoint jusqu'au maire, sont profondément incompétents, menteurs, falsificateurs, sans aucun sens de l'intérêt général.» Ce qui promet des débats musclés, d'autant que dans sa réponse à la CRC, la majorité LR a déjà contesté dans tous les sens les conclusions des magistrats. «Je suis impatient, je le confirme, il n'y a aura pas de phrase tronquée, de coupures au montage. Ceux qui viendront ne seront pas déçus…» se chauffe déjà Yves Moraine, adjoint de Jean-Claude Gaudin. Avant le match, Libé passe en revue les points chauds du rapport.
Locataire bonne poire
La ville semble avoir un problème avec le juste prix de l'immobilier, relève le rapport. Quand elle loue des locaux, la municipalité «acquitte parfois des loyers très élevés» et le bien n'est parfois occupé que «très partiellement». Le cas de la tour La Marseillaise est du genre parlant. La ville a loué pour 570 000 euros l'année tout le 16e étage, dont la moitié est restée vide… Une vision «erronée» de l'histoire, rétorque la majorité Gaudin, tant sur le montant du loyer, que sur l'absence de «stratégie d'occupation des locaux», puisque des agents de la ville vont rejoindre le plateau.
Proprio grand seigneur
«Erreur d'interprétation» toujours, selon la municipalité, quand le rapport s'attarde sur son activité de propriétaire : «Les conditions de la ville ressortent environ 25 % en deçà du prix du marché.» Passons sur le cas du Vélodrome, dont le loyer, notamment sa part fixe (5 millions d'euros), doit être augmenté «significativement», selon la CRC. Dans la série «mon proprio est super-cool», le dossier du Fortin de Corbières a aussi intéressé les magistrats. Cette superbe bâtisse (406,84 m² bâtis sur 6 672 m² de terrain) est louée «moins de 2 500 euros par mois» à un ex-footballeur, Jean-Christophe Marquet, pour sa société d'événements sportifs. Un loyer qui n'a rien de faible, avait répondu la mairie, s'appuyant sur l'analyse d'un bureau d'études qui estimait qu'avec ce montant de loyer, «l'exploitation de M. Marquet était viable».
Acheter au prix fort, vendre au rabais
Quand la ville achète, le rapport relève que, dans plusieurs cas, les acquisitions sont «intervenues dans des conditions juridiques parfois contestables et assez peu économes des deniers publics». Le rachat de la Maison de la région, sur la Canebière, est un modèle du genre. La mairie se l'offre en 2016 pour 5,28 millions, soit «10 % de plus que ne l'avait évalué France Domaine». Une addition alourdie par 1,3 million de travaux prévus par la délibération actant la vente… La ville s'en sort-elle mieux quand elle vend ? Pas vraiment. Sur les 120 millions de cessions réalisées entre 2012 et 2017, la chambre dresse la liste d'opérations bien rentables, mais plutôt pour les acheteurs. Là encore, question de point de vue, renvoie la mairie : «La chambre semble parfois sortir de son rôle pour se poser en juge de l'opportunité, parfois en architecte.»
Effectifs, flou artistique
«Les services de la ville n'ont jamais été à même d'établir et de transmettre en plus de huit mois d'instruction le nombre d'agents» : c'est le principal reproche de la CRC à la mairie dans le deuxième volet de son rapport sur la gestion du personnel de la ville. D'autant que la masse salariale a augmenté de près de 11 % en cinq ans, pour atteindre, en 2017, 596 millions d'euros alors même que nombre de compétences ont été transférées à la métropole, note la CRC. L'administration, dans sa réponse, déclare faire preuve «d'une intense mobilisation» mais invoque des difficultés informatiques.
Primes à gogo et à vau-l’eau
Les magistrats relèvent une gestion inflationniste des primes et indemnités. Par exemple, la nouvelle bonification indiciaire (NBI) est versée à 57 % des agents, une «attribution loin de revêtir le caractère exceptionnel que lui confèrent les textes». C'est le cas de la NBI, normalement réservée à l'accueil du public mais versée à des services qui accueillent plutôt… des collègues. La ville est aussi épinglée pour les heures sup qui «ont augmenté de 24 %». Avec des records à 100 ou même 202 heures mensuelles par personne, soit plus qu'un temps plein… Alors que quelques chapitres plus loin, la CRC note que le temps de travail des agents de la ville est inférieur de 40 heures à la durée légale annuelle. Sur «l'empilement sans cohérence de primes», la ville reconnaît quelques erreurs qu'elle s'engage à rectifier. Mais justifie son système au nom de la «cohésion d'équipe qu'une individualisation des rémunérations aurait pu détériorer».
Salariés (très) âgés
La CRC tient à l'œil l'équipe vieillissante en charge des plus hautes fonctions à l'hôtel de ville. Sur douze cas d'activité au-delà de l'âge légal du départ en retraite (la doyenne a 82 ans), «aucune justification autre qu'un simple "maintien en fonction" n'a été apportée». Parmi ce petit monde figurent nombre de proches du maire, dont son chef de cabinet, Claude Bertrand, 73 ans. Alors que le Parquet national financier s'intéresse à l'affaire, l'un des arguments de la mairie est magique : «La jeunesse, la vraie, n'est heureusement pas une simple affaire d'âge.» Elle évoque également le très prochain terme de la mandature de Gaudin pour justifier ces maintiens en fonction. En mars, une nouvelle équipe sera en place. Après tant d'années d'une telle gestion, faudrait voir à pas chipoter pour quelques mois, si ?