Les quatre grands opérateurs télécoms savent un peu mieux ce qui les attend avant de devoir sortir le chéquier. Le gouvernement a dévoilé le prix auquel les fréquences 5G seront mises aux enchères au printemps prochain. Ce sera au minimum 2,17 milliards d'euros. Un tarif «raisonnable», selon la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher. L'addition totale pourrait néanmoins monter à 3, 4, voire 5 milliards d'euros en fonction de l'intensité de la concurrence… La nouvelle technologie de la 5G promet des débits d'internet mobile beaucoup plus rapides que la 4G. Orange, SFR (qui appartient, comme Libération, au groupe Altice), Bouygues Telecom et Iliad (Free) la commercialiseront dès la fin 2020. Elle s'adresse plutôt aux entreprises dans un premier temps mais sera également ouverte aux particuliers.
Le mécanisme de vente de la «bande de 3,4 – 3,8 GHz», sur laquelle passera principalement la 5G, est complexe. Un total de 310 MHz est attribuable. Plus on dispose de fréquences, meilleur est le service rendu. Quatre blocs de 50 MHz seront cédés à un prix fixe de 350 millions d'euros l'unité (soit un montant cumulé de 1,4 milliard d'euros). A moins d'une très grosse surprise, les quatre grands opérateurs devraient tous débourser cette somme. C'est pour le reste du lot qu'il y a aura baston. «Le solde de 110 MHz sera ensuite vendu aux enchères par tranches de 10 MHz, à partir de 70 millions chacune», indique la secrétaire d'Etat dans les Echos. L'Etat, qui est propriétaire de cette bande, s'assure donc d'empocher 770 millions d'euros supplémentaires. Au minimum. Car la rareté de cette précieuse ressource devrait faire grimper la mise finale.
Orange le mieux servi
Dans le secteur des télécoms, tout le monde s’attend à ce que l’opérateur historique, Orange, le mieux doté financièrement et le plus soucieux d’avoir le meilleur réseau, fasse ce qu’il faut pour obtenir au total 100 MHz (le maximum autorisé). Si tel est le cas, il ne restera plus que 60 MHz à se disputer entre SFR, Bouygues et Free. Assez peu, selon des spécialistes des réseaux mobiles. Pendant la consultation préalable à ce processus de cession, l’Arcep, l’autorité indépendante qui supervise les télécoms, a recommandé au gouvernement de vendre des blocs de 60 MHz à prix fixe. Ce qui, selon elle, aurait permis à tout le monde d’être servi en 5G dans de bonnes conditions, avant même le début des enchères. La nécessité de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, idée défendue à Bercy, a visiblement pesé.
Forcément, les opérateurs sont mécontents. «Ces annonces ne sont pas cohérentes avec ce qu'a dit le gouvernement depuis des mois. Il nous met face à une équation inédite et déraisonnable. Nous investissons déjà 10 milliards d'euros par an dans les réseaux», réagit Arthur Dreyfuss, secrétaire général de SFR et président de la Fédération française des télécoms, le lobby du secteur. Orange et les autres espéraient que les nombreuses obligations imposées par l'Arcep dans le cadre du déploiement de la 5G (2 villes couvertes avant la fin 2020, 3 000 sites en service en 2022, la couverture des autoroutes en 2025, etc.) seraient compensées par un prix plancher moins élevé. D'autant que le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, estimait que la somme de 1,5 milliard d'euros devait être «un grand maximum». Raté. Le gouvernement explique que le prix a été décidé après avis d'une autre autorité indépendante, la Commission des participations et des transferts.
Gros investissements
Avec les chantiers de la fibre optique et de la 4G, toujours en cours, les grands opérateurs sont soumis à de fortes contraintes d’investissement. Ce lundi, SFR a d’ailleurs annoncé le rachat d’un fournisseur de fibre, Covage, qui a des contrats pour 2,4 millions de prises sur le territoire français. Montant de l’opération : 1 milliard d’euros, à partager entre le groupe Altice et le pool d’investisseurs auquel il a vendu la moitié de sa filiale d’infrastructures, SFR FTTH. Un modèle également adopté par Iliad pour réduire les coûts d’investissement à prendre à sa charge. Ils pèsent lourd dans les comptes des opérateurs les moins puissants, comme Free ou Bouygues Telecom. Au premier semestre 2019, 85% de l’excédent brut d’exploitation d’Iliad est parti en dépenses d’infrastructures.
Dans une interview au Figaro la semaine dernière, le patron de l'Arcep, Sébastien Soriano, priait le gouvernement de fixer un prix minimal pour la 5G assez bas «pour permettre aux quatre opérateurs de disposer d'une marge financière suffisante pour enchérir. S'il est trop élevé, le risque est que la bataille soit livrée entre deux opérateurs et non pas quatre, en privant les petits opérateurs de leur capacité à participer aux enchères. Orange et SFR sont deux acteurs très puissants. Je le redis, le risque est de casser les acquis de la concurrence sur le marché des télécoms français». C'est-à-dire des prix bas, des volumes de données importants, des réseaux plutôt performants.