Les «réalités premières» (la terre, l'eau, le feu et le ciel) que découvrent les enfants n'ont plus rien d'un conte de fées. Aujourd'hui, la terre est gorgée de pesticides, la montée des eaux menace de nous submerger, le feu ravage des villes entières tandis que le ciel est pollué par le CO2. Julien Bayou, en lice pour succéder à David Cormand à la tête d'EE-LV, a accepté de faire un pas de côté pour aborder l'écologie sous le prisme de l'enfance.
Les enfants peuvent-ils tout entendre en matière d’urgence écologique ?
Il faut expliquer, mais pas culpabiliser. S’ils se passionnent pour le recyclage des déchets, mais que dans le même temps Starbucks ou McDo continuent d’écouler leurs produits dans des gobelets en plastique, il y a un problème. On ne peut pas demander aux enfants d’agir individuellement sans s’attaquer au fond du problème. Ça reviendrait à les culpabiliser tout en dégageant les adultes de leurs responsabilités.
A force de les alerter, ne risque-t-on pas de banaliser la lutte en faveur de l’environnement ?
Le risque, à mon sens, ce serait surtout qu'ils finissent par se dire que c'est perdu d'avance. Si le film d'Al Gore s'intitule Une vérité qui dérange (2006), c'est bien que la réalité du combat écologique a eu du mal à être complètement partagée.
De quelle manière réconcilier les enfants et les adultes à l’heure où ces derniers sont pointés du doigt pour leurs manquements écologiques ?
Les anciens ont longtemps parlé au nom des générations futures. Aujourd’hui, les jeunes prennent la parole. Il y a des choix à faire et nous, les adultes, devons trouver le moyen d’avancer avec eux.
Le champ lexical de la guerre revient souvent quand on aborde ces questions. N’est-ce pas contre-productif pour des enfants ?
C’est une question que l’on se pose chez les écolos. Mais s’engager, c’est aussi une manière de se réapproprier le monde, d’avoir prise sur le cours des choses. L’absence d’écologie, c’est la guerre contre tous, c’est l’appropriation des ressources au détriment de l’humain. La paix, la prospérité et l’harmonie, c’est l’écologie, le respect de la nature et du vivant à l’échelle de toute la planète.
Beaucoup d’enfants s’inquiètent de la déforestation de l’Amazonie, de la fonte des glaces, de la montée des eaux. Ont-ils les capacités d’appréhender ces considérations mondiales ?
Je comprends que ce décalage soit difficile à saisir, mais il n’est pas nouveau. Je me souviens de la campagne de collecte de riz organisée dans les écoles en 1992 pour venir en aide aux populations de Somalie. On peut questionner l’impact réel de cette opération, mais elle a eu le mérite d’éveiller les enfants à la solidarité tout en leur démontrant qu’il était possible d’agir.
A l’heure des réseaux sociaux, est-ce encore possible ?
Je ne crois pas que les jeunes soient aussi individualistes qu’on le dise. Quand ils sont dans leur chambre, plongés sur leur tablette, ils sont connectés au monde. Ça me semble extrêmement inspirant de voir qu’ailleurs il est possible d’agir différemment.
Pensez-vous que les enfants soient, par exemple, curieux de l’action menée par Greta Thunberg ?
Elle a plus de followers que le président Macron [sur Instagram]. C'est bien la preuve que sa cause est suivie, notamment par les plus jeunes. Ceux-ci s'étonnent d'ailleurs régulièrement des attaques qu'elle subit de la part des adultes alors que son message principal vise à les mettre face à leurs responsabilités.
L’école a un rôle à jouer, mais paradoxalement, les cours d’instruction civique ou les classes vertes, encore très répandues il y a une vingtaine d’années, sont devenus secondaires, voire accessoires. N’est-ce pas paradoxal à l’heure où il faudrait justement faire œuvre de pédagogie ?
Ce paradoxe relève typiquement de l'écoblanchiment. On sait, mais on se contente de quelques diversions en guise de solution. Quand Jacques Chirac lance son célèbre «notre maison brûle et nous regardons ailleurs» au sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, c'est un progrès considérable pour les écologistes. Tout le monde a cru que ça allait avoir des répercussions, notamment sur la jeunesse. Puis le président Macron l'a répété cet été en évoquant les incendies qui ravagent la forêt amazonienne. Entre-temps dix-sept années se sont écoulées et il ne s'est rien passé.
Une pédagogie basée sur la communication non violente et le renoncement à la compétition peut-elle trouver sa place dans les écoles ?
J'ai entendu parler d'un établissement scolaire dans lequel les élections des délégués de classe avaient été organisées sans candidat. Les élèves ont imaginé une fiche de poste afin de désigner celui ou celle qui serait le plus à même d'endosser ce rôle. A la compétition, on pourrait préférer la coopétition [terme qui associe coopération et compétition, ndlr]. Pour l'heure, on en est loin, à l'image de notre démocratie qui manque encore de maturité.
C’est-à-dire ?
Quand un président est élu en France, il a raison pendant cinq ans. J’estime que l’on peut fonctionner autrement. Dans une classe, par exemple, les enfants échangent et se confrontent sous couvert de respect. Ce débat leur permet d’appréhender certaines problématiques, notamment écologiques.
Cette comparaison est étonnante venant d’un représentant écologiste dont le parti s’est souvent entre-déchiré. Est-ce que pour les enfants ce n’est pas le signe que les adultes n’y arrivent pas ?
On nous a beaucoup attaqués en nous reprochant de défendre un horizon qui concerne toute l’humanité et de nous chamailler pour des bêtises. Il importe de réintroduire de la bienveillance pour affirmer tranquillement que ce qui nous rassemble dépasse de très loin les querelles de personnes.
Parce qu’il n’y a désormais plus de temps à perdre…
En effet, c’est maintenant qu’il faut agir. Pour cela, il faut mettre nos ego de côté. Il y a notamment urgence à ne plus élever les enfants dans des villes polluées…
A condition de les sortir du «en voiture, c’est quand même plus simple»…
Je considère que l'on peut grandir en ville et s'y plaire. Quand j'étais enfant, à République [à Paris], il était difficile de trouver des endroits où jouer. Les chantiers qui bloquaient une rue étaient autant de terrains de foot temporaires. Les villes ne sont pas faites pour les enfants alors je comprends qu'ils soient sensibles au «en voiture, c'est quand même plus simple».
Comment rendre les villes plus accessibles aux enfants ?
L'exemple de Pontevedra, en Espagne, est fascinant. Le transport motorisé est limité aux résidents et aux services. Outre l'amélioration de la qualité de vie, la diminution du trafic dans le centre-ville a réduit les émissions de CO2. A Pontevedra, les enfants vont à l'école à vélo. Les commerçants ont d'ailleurs imaginé un système qui permet aux plus jeunes de les solliciter en cas de pépin. Les personnes âgées bénéficient également de ces aménagements. Elles sortent à nouveau et surveillent les gamins qui jouent en bas de chez elles.
Comment leur faire comprendre, pendant cette période de Noël où la consommation devient frénétique, que les fondements mêmes de notre société ne sont plus en adéquation avec les enjeux environnementaux ?
C’est toute une éducation qu’il faut revoir. J’ai une anecdote à ce sujet. L’année dernière, j’ai fait le père Noël chez des amis. Il y avait trois enfants. L’un d’entre eux a eu un grand garage en plastique tandis qu’un autre a reçu un jeu de société. Le premier s’est rapidement lassé de son garage. C’était consommé, voire périmé, alors que le jeu de société, basé sur un principe de coopétition, a généré bien plus d’émotions et de souvenirs.
A l’issue de cette discussion, on vous sent relativement optimiste quant à l’avenir de la planète et au rôle que les enfants joueront dans sa préservation…
L’avenir leur appartient. L’histoire qu’il faudrait raconter aux enfants, c’est celle de Rosa Parks. Cette femme a vécu toute sa vie dans un pays ségrégationniste. Elle n’était pas riche. Elle n’était pas puissante. Mais elle était digne. Il lui a suffi de refuser de céder sa place dans un bus pour changer le cours de l’histoire. Avait-elle des raisons d’espérer ? Oh que non. Mais, pas besoin d’espérer, il faut juste faire ce que l’on estime juste. Personne n’est trop petit pour agir.