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A la barre

Procès des prêts toxiques : «Le comportement des consommateurs a été altéré»

Les avocats des 2 300 parties civiles au procès Helvet Immo, ont commencé à plaider lundi. Ils ont convoqué le droit européen sur la protection du consommateur pour démontrer en quoi BNP-Personal Finance avait eu une «pratique commerciale trompeuse».
Une banque BNP Paribas à Genève, en novembre 2014. (DENIS BALIBOUSE/Photo Denis Balibouse. Reuters)
publié le 26 novembre 2019 à 12h56
(mis à jour le 26 novembre 2019 à 20h34)

Depuis lundi et jusqu'à mercredi, plus de 20 avocats des parties civiles sur les 70 mandatés par les quelque 2 300 emprunteurs plaident dans ce procès qu'ils qualifient de «hors normes» compte tenu du nombre de plaignants venant de toutes les régions de France, des sommes en jeu, et d'une audience de près de trois semaines.

«Le prêt Helvet Immo n'a jamais été la meilleure offre du marché», a clamé d'emblée, en introduction de sa plaidoirie, Charles Constantin-Vallet, avocat parisien qui défend plus de 1 300 ménages pris dans la tourmente du prêt immobilier Helvet Immo. Souscrit en Francs suisses mais remboursable en euros, il a été commercialisé par BNP-Personal finance (BNP-PF) de mars 2008 à décembre 2009. Problème : après la crise de subprimes de 2007-2008 et la crise des dettes souveraines en Europe en 2010, la monnaie helvétique n'a cessé de grimper face à la devise européenne sur le marché des changes. Quand la valeur du Franc suisse grimpait, le capital à rembourser en euros par les emprunteurs Helvet Immo augmentait automatiquement. Pendant près de deux heures, l'avocat a essayé de démontrer en quoi ce prêt s'apparente à une «pratique commerciale trompeuse», motif pour lequel BNP-PF comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris.

«Aversion pour le risque»

Les clients «n'auraient jamais souscrit» Helvet Immo s'ils avaient été pleinement informés de l'énorme «risque de change» que comportait ce prêt, a souligné Alexandre Barbelane qui défend 34 ménages. «J'ai passé plusieurs centaines d'heures à lire ce contrat, je ne l'ai pas compris», a renchéri Sébastien Salles, avocat au barreau de Marseille, qui défend un couple de fonctionnaires. En 2008, ces derniers ont souhaité effectuer un investissement en vue de leur retraite. Les prêts Helvet Immo ont en effet été octroyés à des personnes qui ont acheté un bien immobilier à vocation locative dans le cadre des dispositifs fiscaux loi Robien ou loi Scellier.

Des gens qui «voulaient faire un placement de bon père de famille», a résumé maître Constantin-Vallet. Clientèle visée ? «Celle qui a une aversion pour le risque, a martelé l'avocat. BNP le savait et a choisi de s'adresser à [elle] en fabriquant ce prêt.» Et pour capter des clients, la banque a mis en avant «un taux d'intérêt plus bas que la concurrence». Mais sans expliquer les dangers de Helvet Immo. «L'information substantielle dont avaient besoin les consommateurs, c'était de savoir que [leur prêt comportait] un risque de change illimité, se traduisant pour eux par un risque financier illimité.» Information qui ne leur a pas été délivrée ont insisté en chœur lui et ses confrères qui défendent les parties civiles.

Pour démontrer en quoi le prêt Helvet Immo relevait d'une «pratique commerciale trompeuse», Charles Constantin-Vallet a convoqué la directive européenne de 2005 transcrite dans la législation française en 2008 par la loi Chatel. Cette directive de l'UE vise à protéger le consommateur mais aussi le marché, en luttant contre la concurrence déloyale. «L'intention d'un professionnel, c'est de prendre des parts de marché, ça ne fait pas débat. Ce qui est interdit, c'est de le faire en abusant des consommateurs, au détriment des autres professionnels qui eux vont respecter la loi», a exposé l'avocat. Ainsi BNP-PF va convaincre des clients avec un prêt qu'elle va présenter comme «la meilleure offre du marché». «Argument mensonger», a pointé Olivier Bauer, avocat au barreau de Nancy qui défend cinq ménages d'emprunteurs. Le taux d'intérêt que proposait Helvet Immo était certes plus bas que la concurrence mais c'était sans compter le risque de change. D'ailleurs, le mot «risque» ne figure même pas dans les contrats de prêts, ont fait observer les avocats qui se sont succédé à la barre lundi.

«Appâts»

Le prêt Helvet Immo a été diffusé par des intermédiaires qui proposaient à leurs clients investisseurs un logement locatif à acheter et le fameux prêt de la BNP-PF pour le financer. La banque a choisi ce mode de commercialisation sans vérifier s'ils informaient convenablement les consommateurs. Des avocats ont même rappelé que l'instruction judiciaire avait démontré que les intermédiaires eux-mêmes n'ont pas été avertis de tous les tenants et aboutissants de ce prêt risqué et que dès lors ils ne pouvaient dispenser une information sérieuse aux emprunteurs. «Les intermédiaires sont des appâts que l'on met au bout de la canne à pêche pour attraper les poissons. Mais celui qui tient la canne c'est la BNP», a déroulé Me Salles.

«La BNP s'en lave les mains mais elle ne peut pas échapper à la pratique de ses intermédiaires», avait pointé juste avant Me Constantin-Vallet s'adressant au tribunal. «Ce que vous avez à juger, c'est l'ensemble de la pratique de la BNP. Pas seulement le contrat, ni le discours qu'elle a fait porter par les intermédiaires. C'est toute la stratégie commerciale. De la conception du produit, au marché visé, jusqu'au consommateur […], décline l'avocat. Ce que veut le droit de l'Union européenne, c'est assainir les pratiques de marché. La directive veut qu'un professionnel se comporte en professionnel et s'adresse aux consommateurs de manière loyale, en ne cherchant pas à lui vendre des produits qu'il ne veut pas.» Le Crédit agricole, qui a lui aussi commercialisé ce type de prêt, «faisait signer une notice spécifique à ses clients sur le risque de change, avec la mention lu et approuvé», a précisé Me Constantin-Vallet.

Années d’angoisses

Les cinq avocats des parties civiles qui se sont succédés à la barre lundi, ont considéré que les pratiques commerciales trompeuses de la BNP «ont altéré le comportement économique des consommateurs». Sous-entendu, ils n'auraient «jamais souscrit» un prêt aussi risqué s'il n'y avait pas eu une addition de «pratiques commerciales trompeuses». Outre des dommages-intérêts pour préjudice moral compte tenu des années d'angoisses face à ce prêt, racontées la semaine dernière à la barre par les emprunteurs, leurs avocats sollicitent une prise en charge par la banque de toutes les conséquences du risque de change qui incombent aujourd'hui aux emprunteurs. Cas concret : un couple de l'Oise qui a contracté un emprunt de 132 000 euros en 2008, doit aujourd'hui près de 158 000 euros alors qu'ils ont déjà remboursé en onze ans plus de 93 000 euros avec les traites mensuelles.

Les plaidoiries des avocats des parties civiles se poursuivent mardi et mercredi, parmi lesquelles figurent les associations de consommateur CLCV, AFOC et UFC-Que Choisir. Maîtres Ludovic Malgrain et Philippe Metais plaideront pour la banque jeudi, après les réquisitions du parquet.