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Patrimoine

Bourse de commerce de Paris, chantier chic

A quelques mois de la fin des travaux de ce monument historique qui abritera une partie de la collection d'art contemporain du milliardaire François Pinault, les journalistes ont été conviés à vérifier in situ le mariage de l'architecture de Tadao Ando avec celle de son prédécesseur de 1889, Henri Blondel.
Vue du chantier de la Collection Pinault à la bourse de commerce de Paris, le 25 septembre. (Courtesy Collection Pinault)
publié le 27 novembre 2019 à 13h38

Du projet de l'architecte japonais Tadao Ando pour installer une partie de la collection d'art contemporain de François Pinault dans l'ancienne Bourse de commerce de Paris, on connaissait déjà le principe. L'introduction d'un cylindre dans cette rotonde avait été expliquée il y a plus de deux ans par l'architecte lui-même, devant sa maquette. Restait à vérifier ce que cela pouvait donner en grandeur réelle.

Le chantier, qui se terminera en janvier, est suffisamment avancé pour que l'on puisse juger de l'effet avant l'ouverture, prévue mi-juin 2020. Résumons. Dans cette vaste et vide rotonde, sous une coupole de verre et d'acier qui culmine à 30 mètres, il y a désormais un cylindre de béton lisse qui atteint le premier étage de l'édifice, à 9 mètres. Au sommet du cylindre se trouve un promenoir, de sorte que, pour la première fois, on va pouvoir admirer d'un peu plus près la fresque circulaire de toiles marouflées qui orne le bas de la coupole et représente la gloire et la grandeur du commerce à la conquête des cinq continents. La mondialisation modèle XIXe siècle.

Le cylindre est glissé dans la rotonde et dégage un passage entre son mur historique, ses boiseries, ses vitrines restaurées, ses luminaires d'époque et la sobre paroi de béton de l'architecte japonais. Des critiques malveillantes avaient dénoncé la perspective d'un boyau étroit. Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques qui a suivi tout le projet, parle pour sa part «d'une évocation du passage des Panoramas» – des passages historiques de Paris, si l'on préfère.

Petit péché d’orgueil

Pour l'étroitesse, c'est faux. Pour la fidélité au passage des Panoramas, tout dépend du côté vers lequel on regarde. Mais ce qui frappe le plus dans ce projet, c'est la taille des espaces qui étaient déjà là, tout autour du vide de la rotonde historique. Il fallait bien que les salariés de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris-Ile-de-France, derniers occupants des lieux, aient des bureaux. Dégagés de presque tout ce qui n'est pas proprement dédié à l'exposition des œuvres, ces superficies atteignent 2 800 m2, avec toutes les flexibilités indispensables pour accueillir l'art contemporain d'aujourd'hui. On découvre qu'autour du vide central, il y en avait d'autres, insoupçonnés.

Du coup, on s’interroge sur la présence du cylindre. Certes, le promenoir de son sommet améliore la qualité de la visite et, pour les œuvres, il aura la vertu de l’écrin. Mais ne sert-il pas aussi à matérialiser le passage de l’architecte d’aujourd’hui, un petit péché d’orgueil par rapport à l’humble remaniement des anciennes surfaces de bureaux ?

De fait, ce qui frappe le plus dans cette Bourse de commerce, c'est la force du déjà-là. Comment rajouter la touche XXIe siècle aux quatre étapes de ce bâtiment, dont l'ancêtre fut la halle aux blés construite par Nicolas Le Camus de Mézières en 1766 ? Remaniée de fond en comble par Henri Blondel pour l'Exposition universelle de 1889, la Bourse visait, comme la tour Eiffel, à offrir une vitrine aux savoir-faire français dans la construction métallique. C'est cela que l'on voit encore aujourd'hui quand on passe rue du Louvre, avec le goût du temps, les colonnes corinthiennes du portique principal, le fronton sculpté et les dizaines d'angelots qui campent sur les corniches. Tout cela va simplement rester tel quel dans le paysage parisien. L'ensemble constitue un patrimoine protégé de la cave au grenier.

Terminer l’aménagement raté des Halles

La ville de Paris a-t-elle fait un cadeau à François Pinault lorsqu’elle a signé en 2016 un bail emphytéotique de cinquante ans avec le milliardaire pour qu’il remanie à ses frais (150 millions d’euros d'investissement, dont un quart pour la restauration), ce bâtiment dont personne ne savait quoi faire, à commencer par la Chambre de commerce, son propriétaire de l’époque ? Pas sûr. On ne peut pas s’empêcher de penser au choix de Bernard Arnault, l’autre milliardaire, qui a obtenu du maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, le droit de planter une énorme construction dans le bois de Boulogne pour sa fondation Louis-Vuitton, en lieu et place d’un bowling certes, mais sans qu’il soit question de rendre cette superficie à la verdure.

Là, rien n’est altéré. Mieux, la ville va pouvoir terminer l’aménagement raté des Halles avec cette réalisation trop chic qui restitue le petit bijou aux Parisiens. En 1889, Henri Blondel avait voulu que son édifice tourne le dos aux dégoûtantes Halles de Paris. Aujourd’hui, cela reste la bonne orientation.