Philippe Barbarin n’en démord pas. Le cardinal archevêque de Lyon revient, jeudi, devant les juges de la cour d’appel de sa ville pour tenter d’effacer le déshonneur d’une sanction judiciaire. Le 7 mars, le primat des Gaules a en effet été condamné à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Lyon pour ne pas avoir dénoncé à la justice les agissements pédocriminels d’un prêtre de son diocèse, Bernard Preynat, au cœur d’un vaste scandale de pédophilie qui a éclaté publiquement à l’automne 2015.
Ce n’était pas une première en France. Avant Barbarin, deux autres prélats catholiques avaient été déjà sanctionnés par la justice pour de tels faits : l’évêque de Bayeux et Lisieux, Pierre Pican, qui avait écopé de trois mois de prison avec sursis en septembre 2001, et l’ex-évêque d’Orléans, André Fort, qui a été condamné, lui, à huit mois de prison avec sursis en novembre 2018. Mais l’un et l’autre, par souci d’apaisement, avaient renoncé à faire appel.
«Eviter le scandale»
«Le choix de Barbarin de contester sa condamnation a été plutôt mal compris dans les milieux catholiques, commente la sociologue des religions Céline Béraud. Majoritairement, les catholiques considèrent que Barbarin a au moins commis une faute morale.» Et fait preuve de graves manquements à sa fonction en ne traitant pas le cas Preynat, connu depuis longtemps au sein de la hiérarchie de l'Eglise pour ses penchants pédophiles. Preynat (qui sera, lui, jugé du 13 au 17 janvier) les avait d'ailleurs confirmés à Barbarin en 2010, mais avait soutenu qu'il n'avait pas commis d'abus depuis 1993. Sur les bases de ces dires, Barbarin avait promu Preynat comme curé doyen, en charge de plusieurs paroisses, et sans l'éloigner du contact des enfants.
En juillet 2014, un quadragénaire et ancien scout, Alexandre Hezez, avait alerté Barbarin, affirmant avoir subi des agressions sexuelles de la part de Preynat. L'archevêque avait longuement attendu avant de relever le prêtre de ses fonctions et n'avait pas non plus signalé ces agissements à la justice. C'est ce qui a valu à Barbarin d'être condamné en première instance. Le tribunal a estimé que le prélat a voulu «éviter le scandale» et préféré «prendre le risque d'empêcher la découverte de très nombreuses victimes d'abus sexuels par la justice et d'interdire l'expression de leur douleur».
L’affaire Preynat-Barbarin a provoqué une véritable déflagration dans le catholicisme français, dans le sillage de la création, à l’hiver 2015, de l’association de victimes La parole libérée, qui regroupe d’anciens scouts ayant subi les abus de Preynat, reconnus par le prêtre lui-même au cours de l’enquête. Pour la première fois en France, des victimes de prêtres pédophiles se manifestaient collectivement, entraînant la révélation de nombreuses autres affaires. Et c’est une révolution sociale qui a eu lieu avant même le déclenchement du mouvement #MeToo. Elle se poursuit avec, ces derniers mois, la mise en place de plusieurs autres collectifs de victimes d’abus sexuels dans l’Église, notamment en Vendée et dans les Alpes-Maritimes.
Un désaveu général mais des soutiens qui demeurent
«Dans leur majorité, les catholiques ont pris conscience, en France, de la gravité des abus sexuels commis par des clercs», remarque Céline Béraud. Une profonde crise de confiance s'est installée vis-à-vis de la hiérarchie catholique, en particulier des évêques. L'épiscopat a tenté de réagir en mettant en place des cellules d'écoute, des protocoles d'accord avec la justice, des sessions de formation pour sensibiliser à la question. Toutefois, la crise n'est pas résolue et suscite des débats sur l'exercice du pouvoir au sein du catholicisme.
«Le cardinal Barbarin n'a guère plus d'appui auprès de ses collègues évêques», souligne un théologien catholique. Mais malgré un désaveu assez général, le cardinal lyonnais bénéficie encore de soutiens dans les milieux catholiques attachés à la défense de l'institution. «Ses supporters estiment généralement qu'il paie pour ses prédécesseurs à la tête du diocèse de Lyon», pointe un religieux catholique. Ce genre d'argument a été réfuté lors du premier procès.
Quoi qu'il en soit du jugement de la cour d'appel, dont le résultat ne devrait pas être connu avant plusieurs semaines, l'avenir du cardinal Barbarin est fortement compromis à Lyon. Même relaxé, le prélat ne devrait pas reprendre ses fonctions à la tête de son diocèse. Pour le moment, celui-ci est administré par un évêque émérite (à la retraite), Michel Dubost, chargé par le pape François de remettre de l'ordre et d'apaiser les tensions.
Comme ailleurs en France, l’affaire Barbarin a déchiré le catholicisme local, autant parmi les prêtres que parmi les fidèles. Agé de 69 ans, le cardinal lyonnais est cependant encore loin de la retraite au regard des règles de l’Eglise catholique : c’est seulement à 75 ans que ses cadres cessent leur activité.
Assez isolé dans l’Hexagone, Barbarin dispose cependant d’une carte maîtresse : le soutien du pape François. Affectif dans ses relations interpersonnelles, le chef universel de l’Eglise catholique entretient des rapports cordiaux avec le primat des Gaules, l’un des rares évêques français qu’il reçoit à Rome. Et depuis le début de l’affaire, François a manifestement protégé l’archevêque de Lyon. Le 19 mars, il a ainsi refusé sa démission pour la seconde fois.
Barbarin au Vatican ? L'hypothèse est assez probable, selon les informations qui circulaient cet automne dans les cercles proches de la curie romaine. A quel poste ? Tout dépendra du résultat du procès. Plusieurs observateurs français considèrent que «nommer Barbarin à Rome serait une faute du pape».