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Droits du foot européen : Canal+ et BeIn triomphent, Mediapro en colère

La filiale de Vivendi et BeIn Sports remportent l’appel d’offres pour la diffusion de la Ligue des champions entre 2021 et 2024. Le groupe espagnol envisage un recours.
Lors du match de Ligue des champions entre la Juventus de Turin et l'Ajax d'Amsterdam, le 16 avril. (Photo Alexis Reau. Presse Sports)
publié le 29 novembre 2019 à 18h19

La roulette russe des droits sportifs a encore fait des heureux et des victimes. A chaque appel d'offres pour la diffusion de grandes compétitions, les chaînes remettent leur vie en jeu. Avec les résultats des enchères sur la Ligue des champions de football, rendus ce vendredi, Canal+ et BeIn Sports sauvent leur peau. Pendant ce temps-là, RMC Sport (qui appartient, comme Libération, au groupe Altice) et Mediapro prennent une vilaine balle. Selon l'Equipe, les vainqueurs ont mis ensemble 375 millions d'euros annuels sur la table, pour la diffusion de la coupe européenne pendant trois saisons, de 2021 à 2024 – le chiffre comprend l'offre de TF1 pour la retransmission de la finale. Il a fallu deux tours d'enchères pour en arriver là. C'est une augmentation sensible pour l'UEFA (qui n'a pas confirmé l'information) : l'organisateur du tournoi touche actuellement 315 millions d'euros par an de RMC Sport, détenteur en cours des droits.

Canal+, qui ne propose plus la Ligue des champions depuis l'an dernier, prend sa revanche. «Nous sommes très heureux de pouvoir à nouveau faire rayonner la plus prestigieuse compétition européenne de football sur nos antennes», déclare le patron, Maxime Saada. En remportant les lots 1 et 2 mis en vente par l'UEFA, la filiale de Vivendi s'est offert la possibilité de choisir le match qu'elle diffusera le mardi soir et le mercredi soir. Elle pourra donc retransmettre les rencontres impliquant des clubs français, celles qui attirent le plus de téléspectateurs (donc d'abonnés). La chaîne payante peut souffler. Elle avait besoin de cette bonne nouvelle. Car, dès la saison prochaine, elle n'aura plus la Ligue 1 sur ses antennes, que l'espagnol Mediapro lui a piquée lors d'un appel d'offres l'an dernier. Alors qu'elle continue à perdre des abonnés (ils n'étaient plus que 4,5 millions «autodistribués» mi-2019), la Ligue des champions était vitale pour qu'elle reste un grand carrefour du foot. L'économie réalisée par la perte de la Ligue 1 (570 millions d'euros à ne plus dépenser chaque année) lui a permis d'investir sur la compétition européenne – elle n'a pas dit combien. Un danger, tout de même, la guette : la saison 2020-2021, lors de laquelle Canal+ n'aura ni l'une ni l'autre. Il faudra se battre pour retenir les clients.

Début d’un long feuilleton

Le deuxième gagnant est BeIn Sports. Le lot 3 lui rapportera 104 matchs de Ligue des champions par saison. De quoi offrir une impression d'abondance à ses téléspectateurs et, peut-être, les conserver. D'autant que le groupe qatari a réussi à protéger des griffes de Mediapro deux matchs de Ligue 1 par journée de championnat, à partir de l'année prochaine. BeIn peut espérer poursuivre sa longue et lente route vers l'équilibre financier, qui se rapproche mais qui lui a déjà coûté cher : près de 1,5 milliard d'euros de pertes, selon les chiffres révélés par Libération. Fin 2018, la chaîne comptait 3,2 millions d'abonnés. «BeIn Sports remporte la quasi-intégralité de l'UEFA Champions League, avec une offre financière raisonnée et réfléchie», se félicite la chaîne ce vendredi.

Au rayon des perdants, on trouve évidemment Mediapro. L'entreprise audiovisuelle espagnole avait créé la stupéfaction l'an dernier en déboursant 780 millions d'euros pour s'offrir la quasi-totalité de la Ligue 1. Son plan d'attaque du marché français intégrait visiblement la Ligue des champions, si l'on se fie à la réaction courroucée de son président, Jaume Roures. Dans l'Equipe, il dénonce «une magouille» de l'UEFA favorisant une offre groupée de Canal+ et BeIn Sports. «Notre offre au deuxième tour était très proche des chiffres annoncés. On trouve étonnant que personne ne nous ait demandé de l'améliorer», explique-t-il auprès de l'AFP. Au JDD, il affirme avoir remis une offre de 370 millions d'euros. L'homme va demander les documents de l'appel d'offres à l'UEFA et se dit prêt à faire un recours en justice si ses doutes se confirment. Nous voilà sans doute au début d'un long feuilleton. En colère, l'homme sait que son objectif, plusieurs fois énoncé, d'atteindre 4 millions d'abonnés à 25 euros par mois sera très difficile à atteindre sans un petit bout de Ligue des champions. Mediapro pourra-t-il rentabiliser un jour son investissement colossal dans la Ligue 1 ? On vient peut-être d'assister à un grand rebondissement dans le marché fou de la télé payante…

«Ça sent la fin» chez RMC Sport

L'autre coup de bambou tombe sur la tête de RMC Sport. Le bouquet de chaînes d'Altice va perdre ce qui constituait le cœur de son offre. «Ça sent la fin», commente un bon connaisseur du secteur. RMC Sport n'a pas de quoi se refaire dans les mois à venir. Les meilleurs droits sportifs (Ligue 1, Ligue des champions, Top 14) sont maintenant attribués jusqu'en 2023 ou 2024. Une éternité. La chaîne n'a plus que le championnat de foot anglais à se mettre sous la dent. Mais elle partage sa codiffusion avec Canal+ jusqu'en 2022. Les fans de ballon rond ne préféreront-ils pas aller s'abonner à la chaîne de Vivendi quand elle aura aussi la Ligue des champions ? Dans un communiqué, RMC Sport «rappelle» qu'elle reste propriétaire des «droits exclusifs» de la compétition européenne «jusqu'en 2021». Sous-entendu : on a le temps de voir venir.

Il est possible que l'actionnaire, le groupe Altice, n'ait pas voulu surenchérir face à Canal+, BeIn Sports et Mediapro. A l'inverse de l'espagnol, il ne conteste pas la victoire de ses rivaux. «Nous sommes sereins, les prix étaient très élevés», a tenu à préciser le PDG de NextRadioTV, Alain Weill dans les Echos. Son enjeu est moins la bonne santé de RMC Sport, qui perd beaucoup d'argent (76 millions d'euros d'Ebitda négatif sur les neuf premiers mois de 2019), que de son opérateur télécoms, SFR. Or celui-ci va mieux depuis qu'Altice a dissocié l'abonnement au téléphone et à Internet et l'abonnement à la chaîne sportive. Depuis l'arrivée de Mediapro dans le paysage, beaucoup d'observateurs disent qu'un marché à quatre est intenable. L'appel d'offres pour la Ligue des champions vient peut-être de confirmer cette idée.