La roulette russe des droits sportifs a encore fait des heureux et des victimes. A chaque appel d'offres pour la diffusion de grandes compétitions, les chaînes remettent leur vie en jeu. Avec les résultats des enchères sur la Ligue des champions de football, rendus ce vendredi, Canal+ et BeIn Sports sauvent leur peau. Pendant ce temps-là, RMC Sport (qui appartient, comme Libération, au groupe Altice) et Mediapro prennent une vilaine balle. Selon l'Equipe, les vainqueurs ont mis ensemble 375 millions d'euros annuels sur la table, pour la diffusion de la coupe européenne pendant trois saisons, de 2021 à 2024. Il a fallu deux tours d'enchères pour en arriver là. C'est une augmentation sensible pour l'UEFA (qui n'a pas confirmé l'information) : l'organisateur du tournoi touche actuellement 315 millions d'euros par an de RMC Sport, détenteur en cours des droits.
Revanche
Canal+, qui ne propose plus la Ligue des champions depuis l'an dernier, prend sa revanche. «Nous sommes très heureux de pouvoir à nouveau faire rayonner la plus prestigieuse compétition européenne de football sur nos antennes», déclare le patron, Maxime Saada. En remportant les lots 1 et 2 mis en vente par l'UEFA, la filiale de Vivendi s'est offert la possibilité de choisir le match qu'elle diffusera le mardi soir et le mercredi soir. Elle pourra donc retransmettre les rencontres impliquant des clubs français. La chaîne payante avait besoin de cette bonne nouvelle. Car, dès la saison prochaine, elle n'aura plus la Ligue 1 sur ses antennes. Alors qu'elle continue à perdre des abonnés (ils n'étaient plus que 4,5 millions «autodistribués» mi-2019), la Ligue des champions était vitale pour elle. L'économie réalisée par la perte de la Ligue 1 (570 millions d'euros à ne plus dépenser chaque année) lui a permis d'investir sur la compétition européenne - elle n'a pas dit combien.
Le deuxième gagnant est BeIn Sports. Le lot 3 lui rapportera 104 matchs de Ligue des champions par saison. De quoi offrir une impression d'abondance à ses téléspectateurs et, peut-être, les conserver. D'autant que le groupe qatari a réussi à protéger des griffes de Mediapro deux matchs de Ligue 1 par journée de championnat, à partir de l'année prochaine. BeIn peut espérer poursuivre sa longue route vers l'équilibre financier, qui lui a déjà coûté cher : près de 1,5 milliard d'euros de pertes, selon les chiffres révélés par Libération. Fin 2018, la chaîne comptait 3,2 millions d'abonnés. «BeIn Sports remporte la quasi-intégralité de l'UEFA Champions League, avec une offre financière raisonnée et réfléchie», se félicite la chaîne ce vendredi.
Au rayon des perdants, on trouve évidemment Mediapro. L'entreprise espagnole avait créé l'an dernier la stupéfaction en déboursant 780 millions d'euros pour s'offrir la quasi-totalité de la Ligue 1. Son plan d'attaque intégrait la Ligue des champions, si l'on se fie à la réaction courroucée de son président, Jaume Roures. Dans l'Equipe, il dénonce «une magouille» de l'UEFA favorisant une offre groupée de Canal+ et BeIn Sports. «Notre offre au deuxième tour était très proche des chiffres annoncés. On trouve étonnant que personne ne nous ait demandé de l'améliorer», explique-t-il auprès de l'AFP. Au JDD, il affirme avoir remis une offre de 370 millions d'euros. L'homme se dit prêt à faire un recours en justice. En colère, il sait que son objectif d'atteindre 4 millions d'abonnés à 25 euros par mois sera très difficile à atteindre sans un bout de Ligue des champions. Mediapro pourra-t-il rentabiliser un jour son investissement colossal dans la Ligue 1 ? On vient peut-être d'assister à un grand rebondissement dans le marché fou de la télé payante…
«La fin»
L'autre coup de bambou tombe sur la tête de RMC Sport. Le bouquet d'Altice va perdre ce qui constituait le cœur de son offre. «Ça sent la fin», commente un bon connaisseur du secteur. RMC Sport n'a pas de quoi se refaire. Les meilleurs droits sportifs (Ligue 1, Ligue des champions, Top 14) sont maintenant attribués jusqu'en 2023 ou 2024. Une éternité. La chaîne n'a plus que le championnat de foot anglais à se mettre sous la dent. Mais elle partage sa codiffusion avec Canal+ jusqu'en 2022. Les fans de ballon rond ne préféreront-ils pas aller s'abonner à la chaîne de Vivendi quand elle aura aussi la Ligue des champions ? Dans un communiqué, RMC Sport «rappelle» qu'elle reste propriétaire des «droits exclusifs» de la compétition européenne «jusqu'en 2021». Sous-entendu : on a le temps.
Il est possible que l'actionnaire, le groupe Altice, n'ait pas voulu surenchérir face à Canal+, BeIn Sports et Mediapro. A l'inverse de l'espagnol, il ne conteste pas la victoire de ses rivaux. «Nous sommes sereins, les prix étaient très élevés», a précisé le PDG d'Altice France, Alain Weill dans les Echos. Son enjeu est moins la bonne santé de RMC Sport, qui perd beaucoup d'argent (76 millions d'euros d'Ebitda négatif sur les neuf premiers mois de 2019), que de son opérateur télécoms, SFR. Depuis l'arrivée de Mediapro dans le paysage, beaucoup d'observateurs disent qu'un marché à quatre est intenable. L'appel d'offres pour la Ligue des champions vient peut-être de confirmer cette idée.