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Environnement

Pour les députés, une convention à double tranchant

Le collectif de 150 citoyens tirés au sort voulu par l’exécutif pour proposer des mesures sur les problèmes environnementaux rend perplexes certains parlementaires de la majorité, à la fois curieux du dispositif et soucieux de ne pas voir leurs plates-bandes piétinées.
Lors du premier week-end de la convention citoyenne au Conseil économique, social et environnemental, à Paris le 6 octobre. (Photo Nicolas Lascourrèges. Divergence)
publié le 29 novembre 2019 à 19h11

Pour une fois, leur place n'est pas dans l'hémicycle mais à la tribune des visiteurs. A chaque session de la convention citoyenne sur le climat, au palais d'Iéna, siège du Cese (conseil économique, social et environnemental), quelques parlementaires se fondent en anonymes parmi les spectateurs. Une petite délégation de députés prévoit ainsi d'assister, vendredi, aux débats entre les 150 membres tirés au sort, avant la venue d'Emmanuel Macron, annoncée pour janvier. A l'Assemblée nationale, on tâte encore le terrain, attendant de voir ce qui va sortir de cet objet institutionnel inédit, et balançant entre curiosité et doutes. «Les députés regardent l'exercice avec intérêt et, en même temps, sont attachés à leur mission», résume la députée LREM Yaël Braun-Pivet.

Après avoir mesuré, sur les ronds-points et lors du grand débat national, le discrédit des élus et l'envie de démocratie directe, les marcheurs espèrent que l'exercice contribuera à retricoter ce lien avec les citoyens. «C'est une manière de restaurer la confiance», poursuit la présidente (LREM) de la commission des lois, qui plaidait déjà pour transformer le Cese en «réceptacle de la parole citoyenne». La convention sur le climat figurait d'ailleurs parmi les conclusions du grand débat annoncées par Emmanuel Macron en avril. Le président de la République en attendait «un nouveau travail qui […] permet de mobiliser l'intelligence collective de manière différente». «Les députés ne sont pas les seuls légitimes à penser l'avenir, abonde Bruno Questel (député LREM). Quand on s'enferme dans l'entre-soi, on risque de faire des conneries.» Après la contestation de la taxe carbone l'an dernier, Roland Lescure juge qu'«il faut changer de méthode. On est habitués à chercher le clivage plutôt que le consensus». «Des citoyens bien éclairés peuvent trouver des solutions plus créatives à même de dépasser les vieux blocages», parie le président (LREM) de la commission des affaires économiques.

«Pluralité»

D'autres ne sont pas mécontents de voir des citoyens affronter à leur tour la difficulté de composer avec des intérêts divergents sur l'environnement. «Ils se frottent à des problématiques qui sont les nôtres, c'est une bonne chose», note Jean-Charles Colas-Roy (LREM), qui prévient la convention : «Des décisions trop abruptes risqueraient de braquer les acteurs d'une filière et au final, d'être enterrées pour longtemps. La convention doit se confronter à la pluralité des points de vue, trouver la trajectoire qui va bien.» Les citoyens «découvrent que changer le monde ne se fait pas du jour au lendemain, cela les confronte à notre réalité de représentant national», renchérit Pierre Person. Le numéro 2 de LREM, qui a fait un tour à la convention, juge quand même certaines premières pistes «assez caricaturales» : «Interdire la pub pour les SUV ne fait pas une doctrine écologique.» «Ce n'est pas le café du commerce, ce n'est pas non plus un panel juste là pour appuyer sur un bouton. C'est une vraie assemblée citoyenne», défend François de Rugy. Grand promoteur du processus, l'ex-ministre de la Transition écologique en avait parlé au début de l'année avec Cyril Dion. Et le réalisateur et militant écologiste avait rencontré le chef de l'Etat pour pousser l'idée. Rugy admet que la proposition reprise par Macron n'avait «pas vraiment soulevé une vague d'enthousiasme» dans la majorité.

Pourquoi confier le sujet à des citoyens, qui n'en sont pas experts, alors que toutes les solutions sont sur la table ? N'empiètent-ils pas sur les prérogatives du législateur ? Par ailleurs, des députés envient un peu ces citoyens qui parlent projet de société quand eux se perdent parfois dans des discussions ultra-techniques sur l'endroit où placer la virgule. Un échange sur Twitter illustre leurs interrogations. A Erwan Balanant (Modem) qui, en visite au Cese fin octobre, se réjouissait de voir ces «citoyens qui délibèrent», François Cormier-Bouligeon (LREM) a répliqué : «Des citoyens qui délibèrent, j'en croise chaque semaine 576», soit ses collègues députés. «Je ne conteste pas dans l'absolu mais j'ai quelques réserves, explique-t-il après coup. Tout ce qui permet d'amplifier la concertation avec nos concitoyens va dans le bon sens. Mais le tirage au sort ne peut pas se substituer à l'élection.» Ce ne serait pas qu'une question de plates-bandes jalousement défendues, jure Cormier-Bouligeon: «J'ai été élu pour débattre et amender les lois.»

Chacun sa place, en gros, et les politiques publiques seront bien gardées. Pour que le processus soit un succès, les députés tiennent à cette distinction des rôles : les citoyens seraient ceux qui aiguillent, les élus ceux qui décident. «Je serai éclairé par leurs travaux mais pas obligé. Il n'y a pas de conflit de légitimités. Je serai ravi d'adopter les bonnes propositions. Sur le reste, on argumentera et on amendera», pose Sacha Houlié.

Les 150, eux, ont bien retenu la promesse de Macron de soumettre «sans filtre, soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire» leurs conclusions, prévues pour fin janvier. «Notre synthèse finale ne sera pas un rapport de préconisations, elle posera des actes», pointait William, l'un des tirés au sort (Libération du 15 novembre). Des deux côtés, on se renifle prudemment. «On ne compte pas leur piquer leur job. La place a l'air bonne, qu'ils la gardent, mais qu'ils nous écoutent», lance Jean-Luc, un autre membre.

«Objet explosif»

Quelques macronistes s'inquiètent de l'orientation que prendra la convention et de la réponse qu'ils pourront y donner. L'un d'eux pointe le risque d'«un biais» chez les 150. Si un institut de sondages a travaillé à affiner les profils pour aboutir à un panel représentatif, des personnes, même tirées au sort, qui acceptent de consacrer six week-ends à la question climatique, seraient «déjà conscientisées et plutôt à gauche, voire très à gauche», soupçonne ce député, en off. «Je crains une copie qui ne serait pas acceptable car trop radicale. Cela peut faire le jeu d'un courant qui dira qu'on n'est pas à la hauteur», alerte le même. En clair : «On a créé les conditions d'un objet explosif, on n'était peut-être pas obligés de se tirer une balle dans le pied.» François de Rugy, lui, ne croit pas au scénario d'une convention «prise en main par quelques militants de LFI ou d'Attac qui manipuleraient les autres» : «Ce n'est pas du tout un défouloir, ils débattent beaucoup entre eux, ils veulent proposer des mesures sérieuses et s'interrogent sur leur financement», plaide-t-il, ironisant sur ceux qui voudraient de la démocratie participative «uniquement si elle va dans leur sens».

Dans l'opposition, où on a dénoncé un tour de passe-passe du pouvoir pour repousser les décisions, on attend au tournant la réponse de l'exécutif. «Avec cette mise en scène fracassante, ils ont dramatisé l'enjeu. S'ils prennent des mesures à la carte, ce sera vu comme de l'opportunisme», avertit le socialiste Dominique Potier. «J'ai confiance dans ce qu'un processus citoyen peut produire en termes de demandes limpides et radicales. Mais après, le gouvernement aura la main, ajoute l'écologiste Delphine Batho. En cherchant à gagner du temps, Macron a installé un outil qui va probablement alourdir le niveau d'exigence.»