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Inondations

Intempéries dans le Sud-Est : «Ça serre l’estomac, on va encore patauger dans l’eau cette nuit»

Alors que le département des Alpes-Maritimes a été placé en vigilance rouge pluie-inondation, des Antibois se préparent au pire, avec la peur de voir, une nouvelle fois, leurs maisons ravagées par les eaux.
Le Var et les Alpes-Maritimes sont en vigilance rouge jusqu'à lundi matin. (YANN COATSALIOU/Photo Yann Coatsaliou. AFP)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 1er décembre 2019 à 16h30

Comme tous les quinze jours, Yvonne a fait à manger pour dix personnes. Des boulettes avec des pâtes. Et un gâteau aux pommes nappé de caramel en dessert. C'est le repas du dimanche au mas de la Perrière à Antibes. «Mon petit-fils, ce grand costaud, il n'a pas mangé», s'inquiète Yvonne. Si Jérémy a «l'estomac noué», c'est qu'il pleut depuis le début de la matinée. Le département des Alpes-Maritimes (ainsi que le Var) vient de passer en vigilance rouge pluie-inondation. «On a peur. J'ai fait partir ma femme et ma fille. Elles vont aller chez mes beaux-parents dans les hauteurs, raconte Jérémy. Et moi je vais aller dormir dans ma voiture sur un parking. On ne reste pas là.» C'est que la maison familiale se situe au milieu d'un champ, coincé entre l'autoroute A8 et la Brague, une rivière qui déborde régulièrement. A chaque grosse pluie, leur terrain et leur maison sont inondés. Voire immergés.

Ce salon, où trois générations partagent le repas, s'est retrouvé sous l'eau des dizaines de fois. Depuis son arrivée en 1953, Yvonne ne compte plus. Elle se souvient de la semaine dernière, lors de l'alerte rouge, où elle avait de l'eau «jusqu'en haut des bottes» dans la maison et où deux poules sont mortes. Elle se souvient de 2015 : il y avait 1,80 m d'eau. Yvonne s'était réfugiée à l'étage et le salon-cuisine avait été ravagé. Des poules, lapins, oies et un cheval avaient disparu. Le long de la Brague, trois personnes avaient trouvé la mort dans une maison de retraite de Biot. Une autre dans son mobile-home à Antibes. «En 2015, j'ai perdu toute ma vie : je n'avais plus de chaussures, plus de pantalon, plus de photos. Il ne me restait que mes chiens. Il y en avait pour 50 000 euros de dégâts, rappelle Jérémy qui habite dans un chalet sur la même parcelle. On en a ras le bol. La Brague s'étale chez nous. On bétonne tout et il n'y a plus d'espace vert. Le seul qui reste, c'est chez nous. Je sature : je ne mange plus à midi, je ne dors plus la nuit.» Il met en cause les buses du pont de l'autoroute «trop petites» et «pas entretenues».

Il est 14 heures, l'heure du café. L'alarme retentit. «C'est la guerre de 45», ironise la fille, Jocelyne. Yvonne, 78 ans, fond en pleurs. «Ça serre l'estomac, ça me fait peur, dit-elle. On ne dort plus. C'est la désolation. On va encore patauger dans l'eau cette nuit.» Le téléphone sonne : amis et famille viennent aux nouvelles.

«On n’a pas peur de mourir mais on est las»

Plus bas, le long de la Brague, sur l'avenue du Pylône, les poubelles débordent. Des meubles télé, des coussins, des plaids. Aline a de la boue plein les pieds. Elle nettoie les dégâts des inondations de la semaine dernière. «Notre rue s'est transformée en rivière. Donc aujourd'hui, je surveille, explique-t-elle. Je ne suis pas de nature anxieuse mais ça m'inquiète pour mes trois enfants et mon chien. On vit à l'hôtel. Ça ne pourra pas durer plus de trente jours.» Sept jours après, elle redoute que tout recommence : «Si je me mets à pleurer en plus, je serai dans la merde. Ma seule préoccupation du moment, c'est de déménager et d'être remboursée par l'assurance.» Ses voisins ont déjà placé une planche en travers du portail pour que l'eau de la route ne rentre pas dans le jardin. Le salon est propre mais en chantier : les chaises, les étagères, les livres sont sur la table. En hauteur. «J'ai anticipé, dit Alexandra. On n'a pas peur de mourir mais on est las. C'est le deuxième week-end d'affilée, c'est fatigant. On angoisse.»

Dans ce quartier, beaucoup de campings. L'été, il fait bon vivre au bord de la petite rivière, au soleil et à deux pas de la mer. Lors des épisodes méditerranéens, le ruisseau si calme se transforme en fleuve dévastateur. Patrick est à la tête d'une communauté des gens du voyage. Avec ses deux filles, il se prépare à partir. «On a tout rangé, on a tout calé, on a enlevé les béquilles, énumère-t-il. On est prêts à décoller.» La semaine dernière, c'est son fils qui a sorti les caravanes : «L'avantage qu'on a, c'est de pouvoir partir vite.» Une alternative que n'ont pas les autres Antibois inondés. Locataires, Alexandra et Aline cherchent à déménager. Jérémy est en train d'acquérir un appartement. Quant à Yvonne, elle n'a pas le cœur à quitter le mas qu'elle habite depuis soixante-dix ans. Elle passera la nuit à surveiller la pluie. L'alerte rouge est prévue jusqu'à 6 heures du matin.