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Libération

Conseil de déontologie des médias : à peine créé, déjà contesté

Encouragée par le gouvernement, l’instance a vu le jour lundi à l’initiative de personnalités qualifiées et de quelques collectifs de journalistes. L’initiative divise la profession.
L’assemblée générale constitutive du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, à Paris, lundi. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 2 décembre 2019 à 19h56

Une naissance dans la douleur et la division. Lundi en fin d'après-midi se tenait à Paris l'assemblée générale (et clairsemée) constitutive du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Cette nouvelle instance - juridiquement, une association loi 1901 - se veut «un organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'Etat». Sa mission principale : émettre des avis sur les pratiques des médias d'information, sur des contenus publiés par ces derniers, après saisine du public ou autosaisine. «Un conseil de déontologie journalistique est l'une des réponses à la crise de confiance du public envers les médias et aux tentatives de manipulation de l'information», justifient dans leur profession de foi les initiateurs de ce conseil, qui est loin de faire consensus dans le secteur de la presse.

Tutelle

La semaine dernière, une vingtaine de sociétés de journalistes de grands médias ont signé, à l'initiative de Mediapart, un texte déclarant leur refus de participer à cette instance. «La manière dont se crée aujourd'hui ce CDJM ne nous inspire pas confiance», expliquent-elles. En cause, sa genèse, qui fait craindre à beaucoup la possibilité d'une tutelle liberticide de l'Etat. Car l'impulsion a été donnée par le gouvernement, qui a confié une mission sur le sujet à l'ex-patron de l'AFP, Emmanuel Hoog. Celui-ci préconisait la création d'une telle instance, comme il en existe dans de nombreux autres pays, dans un souci de transparence et de dialogue avec le public, mais à la condition qu'elle émane de la profession. Cependant, des déclarations autoritaires, d'Emmanuel Macron lui-même ou du secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O, ont semé le doute, laissant présager une sorte de conseil de l'ordre, chargé de valider la bonne parole médiatique, en ligne avec la politique gouvernementale…

«La tribune des [sociétés des journalistes] est une manipulation de Mediapart. Assimiler ce conseil déontologique à Emmanuel Macron est une quasi-fake news. Il est le résultat d'un processus né il y a plus de dix ans», s'agace Patrick Eveno, historien de la presse et président de l'Observatoire de la déontologie de l'information, créé en 2012. Il milite pour la création d'un tel conseil depuis longtemps.

Patrick Eveno est l'une des chevilles ouvrières du projet, aux côtés notamment du Syndicat national des journalistes (SNJ), de la CFDT-journalistes et de Jérôme Bouvier, le président de l'association Journalisme & Citoyenneté et l'organisateur des Assises du journalisme. Des personnalités et des organisations qu'on ne saurait accuser d'être à la solde de l'exécutif. Un élément, néanmoins, prête à confusion : comme le reconnaît Patrick Eveno, «le ministre de la Culture et le Premier ministre soutiennent l'initiative». Et le CDJM espère obtenir des subventions de l'Etat pour son fonctionnement quotidien. N'y a-t-il pas là un risque d'assujettissement ? «Les journaux aussi sont subventionnés», balaie-t-il.

Face à la méfiance d'une partie de la presse, Patrick Eveno cherche à dissiper les inquiétudes : « Le rôle du conseil est de se demander si, quand un choix éditorial a été fait, il a été traité dans les règles de l'art du journalisme, suivant les principes de véracité, de recherche de sources, d'absence de conflit d'intérêts…»

Le CDJM ne se limitera pas à évaluer les pratiques des médias ayant adhéré à l’association qui le porte. Il s’autorisera à le faire pour n’importe lequel d’entre eux, pourvu qu’il ait été saisi par le public. Cela promet quelques belles foires d’empoigne dans le microcosme journalistico-journalistique.

Concrètement, le Conseil de déontologie s’articulera autour d’un conseil d’administration qui doit être élu lors de l’AG fondatrice. Il comportera trente membres, divisés en trois collèges numériquement égaux : l’un pour les collectifs de journalistes ayant accepté de participer au CDJM, un autre pour les éditeurs de médias, le dernier pour les associations représentants le public. Ces membres instruiront les dossiers en commissions réduites et proposeront des avis qui devront être adoptés en session plénière par le CA.

Foule

Parmi les fondateurs du CDJM, on trouve le collectif de journalistes «Informer n'est pas un délit», constitué en 2015 pour lutter contre une disposition de la «loi Macron» voulant renforcer le secret des affaires. «Contrairement à ce qui a été affirmé, le CDJM n'est pas une initiative gouvernementale. […] Informer n'est pas un délit considère que c'est à l'intérieur de cette entité que le débat doit se tenir et que la politique de la chaise vide sera préjudiciable à l'ensemble de notre profession», expliquent les dirigeants de cette association.

Si certains médias ont apporté leur soutien au projet, il faut reconnaître qu'il n'y a pas encore foule au portillon. «Nous ne sommes pas très nombreux actuellement, admet Patrick Eveno, qui pourrait être élu président du conseil. Mais les gens vont se mobiliser. Beaucoup attendent de voir. Nous espérons les faire venir quand le conseil aura été lancé. Nous ferons une assemblée générale dans six mois pour faire un bilan.» Le CDJM prévoit de démarrer son activité en janvier.