Depuis janvier, Matthieu Lépine, professeur d'histoire à Montreuil, recense les accidents graves et mortels du travail sur un compte Twitter suivi par plus de 17 000 personnes et où il interpelle Muriel Pénicaud. Une mise en lumière nécessaire, selon lui, face à l'indifférence.
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer dans ce travail de collecte ?
A l'origine, je n'ai pas de lien particulier avec ce sujet : je suis enseignant. Dans mon métier, il y a certes de la souffrance au travail, mais les accidents sont plutôt rares. Ce qui m'a fait me pencher sur la question, c'est la polémique qui a suivi les propos d'Emmanuel Macron, en 2016, sur le fait que «la vie d'un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d'un salarié». J'ai commencé, pour le prendre un peu au mot, à chercher des articles sur les accidents du travail. A chaque fois, c'était des petites brèves, mais mis bout à bout, ça a commencé à donner quelque chose de conséquent. Ça faisait deux ans que je m'étais lancé dans ce projet sur une page Facebook et sur mon blog quand, au tout début de l'année, il y a eu l'histoire de ce jeune livreur Uber Eats décédé, Franck Page. C'est là que le compte Twitter a tout changé.
Pourquoi un tel travail vous semble-t-il nécessaire ?
Les médias parlent des accidents du travail, mais uniquement quand c'est spectaculaire, comme ce couvreur décédé en pleine canicule [le 28 juin en Ille-et-Vilaine, ndlr]. Si demain ce n'est plus la canicule et que le même accident a lieu, ça n'aura pas le même impact. Le lieu compte aussi : si c'est à Paris, ça n'aura pas du tout le même retentissement. On sent chez les médias l'envie de montrer quelque chose qui sort de l'ordinaire, parce que finalement les accidents du travail, il y en a toujours eu, depuis qu'il y a du travail.
Quelles sont les réactions ?
Des macronistes me disent parfois : «Comme si c'était la faute de Muriel Pénicaud…» Je réponds que mon «allô Pénicaud» fait référence au «allô Place Beauvau» de David Dufresne [qui effectue un recensement des violences policières présumées]. Voyant que chez lui, ça fonctionnait très bien, je me suis appuyé sur son travail. Et puis l'idée du décompte, ça impressionne. Chaque fin de semaine, je fais un bilan des derniers morts. Parfois, il y en a 11 ou 12. Et ce ne sont que ceux que je recense, en réalité, il y en a davantage. Aujourd'hui, j'ai recensé à fin novembre 339 accidents mortels. Or les chiffres officiels font état d'environ 500 chaque année.