Sur le papier, l'intitulé est consensuel. Présentée par le groupe LREM, une proposition de résolution «visant à lutter contre l'antisémitisme» doit être débattue ce mardi à l'Assemblée nationale. Mais l'initiative, portée en premier lieu par le député (LREM) de Paris Sylvain Maillard, divise, y compris dans le groupe majoritaire. L'idée est de reconnaître, par ce texte à valeur symbolique, une définition qui «permet de qualifier d'antisémites les attaques antisionistes motivées par une haine des juifs». Certains dénoncent une manière de hiérarchiser les luttes contre les formes de discrimination et pointent le risque d'entretenir une confusion entre antisémitisme et la critique du gouvernement israélien.
D’où vient cette proposition de résolution ?
Le 16 février, le philosophe Alain Finkielkraut est violemment pris à partie en marge d'un défilé parisien de gilets jaunes, et traité de «sale sioniste de merde». Tandis que la scène, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, suscite l'émoi, les députés du groupe d'études sur l'antisémitisme expliquent travailler depuis plusieurs mois à une initiative pour punir l'antisionisme et le faire reconnaître comme une forme d'antisémitisme. «Quand j'ai pris la présidence du groupe d'études, début 2018, j'ai découvert qu'existait une définition de l'antisémitisme écrite par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), reconnue par le Parlement européen et en cours de validation dans plusieurs Etats», explique Sylvain Maillard. Celui-ci dévoile alors cette idée… fraîchement accueillie dans la majorité. Le patron du groupe, Gilles Le Gendre, parle d'une «initiative personnelle» et l'exécutif estime que «pénaliser l'antisionisme n'est pas une solution». Mais le soir même, Emmanuel Macron, au dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), affirme que «l'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme» et promet que «la France mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée par» l'IHRA.
Quel est son objectif ?
En voici la formulation adoptée en 2016 : «L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.» La proposition de résolution vise à reconnaître cette définition et à la diffuser «auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires». Selon ses signataires, l'antisémitisme «a changé» et «de nouvelles formes se sont développées». «Critiquer l'existence même d'Israël en ce qu'elle constitue une collectivité composée de citoyens juifs revient à exprimer une haine à l'égard de la communauté juive dans son ensemble tout comme rendre collectivement responsables les juifs de la politique menée par les autorités politiques israéliennes est une manifestation d'antisémitisme», déclarent-ils dans l'exposé des motifs de ce texte, qui n'a aucune portée juridiquement contraignante.
Pourquoi fait-elle polémique parmi les députés ?
Pour les opposants, le risque est de laisser entendre que toute critique de l'Etat israélien et de sa politique soit suspectée d'être antisémite. Dans une tribune au Monde ce mardi, six députés (communistes, mais aussi Modem et LREM) y voient «une pente dangereuse» et pointent le danger de «stigmatiser une opinion politique, l'antisionisme, au risque de porter gravement atteinte à la liberté d'expression». Ces élus, qui demandent le retrait du texte, dénoncent «les interventions constantes du gouvernement israélien auprès de l'Union européenne et de la France» pour faire adopter cette définition. En parallèle, 127 intellectuels juifs exhortent les députés à ne pas voter la résolution : «L'antisémitisme doit être combattu sur des bases universelles, au même titre que d'autres formes de racisme et de xénophobie, pour lutter contre la haine. L'abandon de cette approche universaliste conduira à une polarisation accrue en France, ce qui nuirait également à la lutte contre l'antisémitisme.»
«Jamais le gouvernement israélien ne m'a demandé quoi que ce soit. C'est insultant de prêter ce rôle à un député», rétorque Sylvain Maillard, vice-président du groupe d'amitié France-Israël. Et de retourner le compliment contre les «groupes de pression qui véhiculent des reproches qui ne sont pas dans la résolution : dire qu'on ne pourra plus critiquer la politique de Nétanyahou est complètement faux, c'est écrit noir sur blanc». Allusion à la lettre adressée par une trentaine d'associations aux députés pour leur demander de rejeter le texte. «Je ne hiérarchise pas les haines, réfute Maillard. Mais elles ne se traitent pas toutes de la même façon. Si on estime qu'elles sont du même ressort, on les combat mal.»
Même au sein de LREM, certains sont gênés par la démarche qui, après les polémiques sur les accompagnatrices scolaires portant le voile et la marche contre l'islamophobie, ne tombe pas franchement à pic. «Se concentrer sur une forme de racisme reviendrait à dire que celle-ci est plus importante que d'autres», déplore une marcheuse. Signe des réserves : seule une centaine sur 300 députés LREM a cosigné le texte (également cosigné par une trentaine d'élus LR, UDI-Agir, Modem, Libertés et territoires). A la demande de ses collègues, Sylvain Maillard s'est efforcé de retoucher la rédaction : exit la formule «Etat juif», remplacée par Israël. Le mot «parfois» a remplacé «souvent» («les actes antisionistes peuvent parfois occulter des réalités antisémites»). Mais les réécritures et les discussions internes n'ont pas suffi à lever les réticences. Et plusieurs députés LREM s'apprêtent à voter contre. «On va se diviser sur un sujet qui aurait dû tous nous rassembler et pour un texte même pas contraignant. Pour moi, c'est contre-productif», assène un pilier de la majorité.