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Grève

Retraites : l’exécutif maintient le flou et la réforme

Retranché derrière ses «discussions» avec les partenaires sociaux, le gouvernement n’a pas prévu de clarifier son projet avant le milieu de semaine prochaine, malgré la forte mobilisation de jeudi.
A Paris, jeudi sur le boulevard de Magenta. (Photo Lucile Boiron pour Libération)
publié le 5 décembre 2019 à 21h06

Avant de lever le voile sur la toujours nébuleuse réforme des retraites, l'exécutif aura donc délibérément choisi de laisser enfler la mobilisation. Dans plus d'une soixantaine de villes, des centaines de milliers de manifestants ont bravé le froid glacial de ce premier jeudi de décembre. Les derniers arbitrages seront-ils pris en fonction des taux de grévistes et de la longueur des cortèges ? Interrogée sur ce point après le Conseil des ministres de jeudi, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a assuré qu'il n'en était rien. Selon elle, le gouvernement serait concentré sur le long processus de «discussions» engagées depuis deux ans avec les partenaires sociaux. Il doit s'achever lundi ou mardi par une dernière réunion autour du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye.

Stratégie

Difficile, cependant, de ne pas reconnaître l’évident rapport entre la date d’atterrissage - la réforme sera présentée en milieu de semaine par le Premier ministre - et la grève déclenchée jeudi. Certains responsables de la majorité reconnaissent en coulisse un séquençage assumé : d’abord laisser prospérer le flou et les inquiétudes des Français légitimement attachés à un système de retraite sécurisant, et mettre ensuite sur la table les clarifications censées rassurer et faire retomber la pression. Une stratégie qui suppose que le mouvement ne déborde pas, au-delà de la question des retraites, sur une contestation plus radicale de la politique et de la personne d’Emmanuel Macron - ce qui est l’objectif des nombreux appels à un acte 56 qui prétend marquer, samedi, le réveil des gilets jaunes.

En fin d'après-midi, on comptait 806 000 manifestants dans toute la France, dont environ 740 000 en province, selon le ministère de l'Intérieur. Avocats, gilets jaunes, soignants, enseignants, pompiers… Jeudi, à Bordeaux comme à Toulouse, Marseille ou Lyon, ils étaient entre 20 000 et 30 000 à manifester selon les chiffres des préfectures. A Paris, où 65 000 personnes ont battu le pavé, le patron de la CGT, Philippe Martinez, a salué «une très forte mobilisation dans le public comme dans le privé». Selon le secrétaire général de la CGT Fonction publique, Jean-Marc Canon, «entre 40 et 45 %» des fonctionnaires se seraient mis en grève, soit un niveau de mobilisation «exceptionnel».

Les manifestations «se sont bien passées car elles ont été bien organisées», s'est félicité Edouard Philippe. Sur la foi des premières remontées de l'Intérieur, on se rassurait au sommet de l'Etat : en ce jeudi noir, le niveau de mobilisation serait «plutôt inférieur à celui de 2003 et assez proche de celui de 2010 avec, à l'époque, une surreprésentation des enseignants», assurait un conseiller ministériel, prenant pour référence les mouvements contre les réformes des retraites portées par François Fillon (2003) puis par Eric Woerth (2010).

Optimisme

A l'Elysée, on assurait jeudi que le chef de l'Etat restait «calme et déterminé à mener cette réforme, dans l'écoute et la consultation». Il serait «respectueux» de ceux qui choisissent «d'exprimer pacifiquement leur opposition au projet du gouvernement». Sommés de faire bloc sans état d'âme derrière cette «réforme de justice», les responsables de la majorité s'efforcent de faire preuve d'optimisme. Sibeth Ndiaye ne doute pas que des «voies de passage» seront ouvertes, la première étant celle qui permettra de rassurer définitivement la CFDT, favorable au régime universel mais opposée à ce que sa mise en œuvre soit accompagnée de «mesures d'âge». Le gouvernement renoncerait au préalable à une remise à l'équilibre du système en 2025. Et ce n'est pas tout. Pour déminer le terrain, Edouard Philippe a laissé entendre que la mise en œuvre de la réforme pourrait être retardée d'une dizaine d'années.

Quelques heures avant la grève, plusieurs ministres se sont employés à rassurer leurs troupes. Dans un courrier aux syndicats de policiers, Christophe Castaner a garanti aux fonctionnaires «qui exercent des missions régaliennes» que leurs droits à un départ anticipé à la retraite «resteront ouverts comme aujourd'hui, sans changement». Son collègue de l'Education, Jean-Michel Blanquer, s'est livré au même exercice. Dans une lettre aux enseignants, il s'engage à garantir leur niveau de pension, lourdement menacé par une application mécanique de la réforme. A en juger par l'ampleur de leur mobilisation, les profs l'ont jugé hors sujet. Beaucoup seront encore en grève ce vendredi, tout comme les agents de la SNCF et de la RATP, ces derniers ayant voté la reconduction du mouvement jusqu'à lundi.