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Grève

Entreprises : le télétravail pour tenir la distance

Avec une grève qui peut durer, certains groupes ont décidé d’aménager le temps de travail de leurs salariés. Mais la mesure vise surtout les cadres.
Paris, le 6 décembre. (Photo Cyril Zannettacci. Vu pour)
publié le 8 décembre 2019 à 19h31

La grève qui paralyse les transports va-t-elle enfin faire rentrer le télétravail dans les mœurs françaises ? On n'a jamais autant parlé de l'activité à distance que depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, en a fait elle-même la publicité. «Aujourd'hui, il y a des formes de travail à distance, je demande aux employeurs d'être compréhensifs, disait-elle il y a quelques jours sur Europe 1. […] Le télétravail est un droit. Beaucoup de métiers s'y prêtent.» Depuis septembre 2017, un simple accord entre le salarié et l'employeur suffit pour convenir d'un recours au travail à distance. Celui-ci peut s'opposer à la demande, mais ce refus doit alors être motivé. A contrario, le télétravail ne peut être imposé au salarié sauf cas de «force majeure».

«Continuité»

Si nombre d’entreprises le pratiquent de manière non codifiée, peu d’entre elles l’ont formalisé dans des chartes ou des accords collectifs. D’où le décalage persistant entre une pratique de plus en plus banalisée et des chiffres qui ne traduisent pas toute l’étendue du phénomène. Ils sont cependant en hausse, et au ministère du Travail, on confirme que son usage se développe, surtout chez les cadres. Selon l’Observatoire du télétravail, 850 accords avaient été signés dans les entreprises françaises fin 2018. Selon une autre enquête de Malakoff Médéric, 29% des Français y ont régulièrement recours, contre 25% en 2017. Et d’après le baromètre #QVT 2019 de Dynamic Workplace et Speak  & Act, à peine 56% des salariés interrogés déclarent être présents cinq jours par semaine à leur bureau.

Avec la grève, de nombreuses entreprises ont pris les devants pour mettre en place du télétravail et divers aménagements pour assurer leur activité. «Nous le facilitons, aussi bien à domicile que dans d'autres sites de l'entreprise», explique-t-on chez Orange, qui a équipé ses salariés pour assurer la continuité du service client téléphonique. A la Société générale, «les capacités de télétravail ont été renforcées de telle sorte que davantage de collaborateurs n'ayant pas de solution de transport alternative ou exerçant une activité critique puissent travailler depuis leur domicile». Chez Engie, on se dit prêts à «adapter si nécessaire les heures d'arrivée et de départ sur le lieu de travail». Et comme nombre d'employeurs, l'énergéticien demande à ses salariés d'«envisager de prendre des congés ou des jours de RTT». Pour autant, ce nouvel usage a ses limites, liées en premier lieu au type d'activités. Celles de production ou de proximité, comme le commerce, nécessitant plus qu'un simple ordinateur connecté pour accomplir sa tâche en sont a priori exclues, tout comme la plupart des services à la personne. Comme le dit le président de la Confédération des PME, François Asselin, «un chantier ne se fera pas par Internet, le pain ne va pas se pétrir sans boulanger».

Flexible

Mais le système, dont les employeurs redoutaient qu'il n'entraîne une baisse de productivité, se serait au contraire traduit par une hausse des rythmes de travail chez certains cadres. Une étude du ministère (Dares) pointe le fait que le télétravail «comporte certes d'indéniables avantages mais également des inconvénients avec des risques psychosociaux aggravés». Et pointe le fait qu'il reste surtout l'apanage des cadres, puisqu'il ne concernait que 1,8 million de personnes en France en 2017, soit 7% des salariés.

Et si la pratique a des bienfaits, comme un rythme plus flexible, ses adeptes ont tendance à avoir «des horaires plus longs et atypiques». Les cadres ayant opté pour le travail à distance un jour par semaine travaillaient en moyenne 43 heures hebdomadaires en 2017, contre 42,4 heures pour le reste des cadres. Mais les télétravailleurs «intensifs» (à partir de deux jours et plus par semaine) déclarent quant à eux «travailler plus de 50 heures [hebdomadaires] deux fois plus souvent» que ceux qui pratiquent la vie de bureau. Une réalité qui amène les télétravailleurs à se considérer dans leur majorité «ni plus ni moins satisfaits de leur travail» que les autres.