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Libération
Reportage

A Paris, un tramway nommé des ires

Entre pleurs, abandons et résignation, voyage mouvementé lundi matin dans la capitale.
A Paris, lundi. (Photo Rafael Yaghobzadeh. AP)
publié le 9 décembre 2019 à 19h41

Plus fiable que le RER, plus rapide que le bus, plus lumineux que le métro : en temps normal, le tram est peut-être le plus sympathique des transports collectifs parisiens. La ligne 3a borde tout le sud de la capitale, reliant la Porte de Vincennes à l’est au pont du Garigliano à l’ouest. Embarquer à l’un de ces deux terminus est souvent la garantie de voyager assis. Mais rien ne permet de le deviner, lundi vers 9 heures à Porte de Vincennes. Une forêt de parapluies hérisse les quais, battus par la pluie et mangés de pénombre.

Pressoir humain

Seule la moitié des rames circule sur la 3a, comme sur la plupart des autres lignes de tram de la région : c'est bien mieux que la majorité des lignes de métro. Lundi matin, ils sont donc plusieurs centaines à tenter leur chance et à attendre le passage du prochain tramway, prévu dans une vingtaine de minutes. Certains, qui n'ont pas réussi à embarquer dans le précédent, attendent depuis une heure. Nerveux et trempés, des usagers engueulent les petits malins qui tentent de remonter la foule pour se placer en face des portes. La RATP avait malheureusement prévu le coup : après deux jours de grève en fin de semaine dernière où les Franciliens semblaient s'être organisés, l'afflux de passagers lundi matin rendait la situation «très dangereuse» sur les quais. La régie recommandait de trouver des transports alternatifs.

Porte de Vincennes, lorsque la rame entre en station, ce sont des cris de surprise et de douleurs qui jaillissent : un brusque mouvement de foule a plaqué les premières rangées contre la paroi des wagons. Le tramway est pris d’assaut : on joue des mains, des coudes et des épaules pour en approcher les portes. Sans égard pour les plus fragiles, écrasés au cœur de cet hallucinant pressoir humain. Devant la violence de la scène, plusieurs voyageurs renoncent à embarquer. Une femme s’extrait de la masse en pleurant. Prochain passage dans vingt minutes.

«On casse la porte»

A 10 heures, Porte de Vincennes, on s'étonne de voir le quai de la 3a presque vide. Mieux, on trouve une place dans le premier tram qui passe. A l'intérieur, les voyageurs téléphonent pour tenir des gens informés de l'évolution de leur périple. Les wagons ne sont pas bondés mais le tram avance à la vitesse de la marche, avant de s'arrêter au milieu de la ligne. Problème technique, informe le chauffeur. Les voyageurs s'impatientent : «On peut descendre ? Si vous n'ouvrez pas, on casse la porte.» Réponse du conducteur : «Vous pouvez crier et taper autant que vous voulez, je n'ai pas le droit d'ouvrir la porte.» Quinze minutes plus tard, ça redémarre, pour s'arrêter 100 mètres plus loin. Une femme au téléphone : «Ah, on repart. Ah, non, on s'arrête.» Une autre, à celui ou celle qu'on imagine être son patron : «Tu vas me payer double aujourd'hui et ce soir je dors à l'agence.» Les arrêts défilent tout doucement. Il aura fallu deux heures, au lieu de quarante minutes en temps normal, pour arriver au bout de la ligne.