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Analyse

Retraites : le gouvernement prend le risque de braquer la CFDT

Après des mois de concertation et une semaine de grève, Edouard Philippe a explicité la future réforme des retraites. Fixant un «âge du taux plein» à 64 ans mais repoussant la date de la bascule dans le système universel à la génération née en 1975.
Laurent Berger (CFDT) écoute Edouard Philippe au Conseil économique et social, pour la présentation de la réforme des retraites, mercredi. (Photo Denis Allard pour Libération )
publié le 11 décembre 2019 à 15h17

Son entourage avait annoncé un «discours de quelqu'un de raisonnable à des gens raisonnables». Les jours qui viennent diront si ces «gens raisonnables» dont font partie, pour Matignon, Laurent Berger (CFDT), Cyril Chabanier (CFTC) ou encore Laurent Escure (Unsa) et qui ont écouté attentivement Edouard Philippe ce mercredi midi au Conseil économique, social et environnemental (Cese), resteront raisonnables ou s'ils appelleront leurs troupes à rejoindre les cortèges opposés à la réforme des retraites. Au vu de ce qu'a dévoilé le Premier ministre, c'est mal parti pour rester raisonnable : la création d'un «âge d'équilibre» (pour ne plus dire «pivot») entrera en vigueur «progressivement» ; 62 ans et 4 mois au 1er janvier 2022 pour atteindre 64 ans en 2027 et rétablir l'équilibre des caisses de retraites à cette date.

Il continuera d'exister dans le futur système universel par points et déplaît déjà fortement aux syndicats réformistes pourtant favorables sur le principe d'une transformation des 42 régimes actuels. En juillet, lorsque le haut commissaire chargé de cette réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, avait préconisé cet «âge d'équilibre» (appelé aussi «âge du taux plein») qui obligerait les salariés à travailler jusqu'à au moins 64 ans sous peine de voir leur pension dévalorisée, Laurent Berger l'avait désigné comme une «ligne rouge». Elle «est franchie, clairement», a lancé le patron de la CFDT à la sortie de l'hémicycle du Cese, à peine le discours du Premier ministre terminé.

Les partenaires sociaux piégés ?

Mais le secrétaire général de la CFDT, qui se bat depuis des années pour l'instauration en France d'un régime universel par points, risque d'être légèrement embêté. Car Edouard Philippe compte demander aux partenaires sociaux réunis au sein de la future «gouvernance» du système à points de négocier ce retour à l'équilibre en 2027 avant, s'il n'y avait pas d'accord, d'imposer cette solution d'un âge pivot à 64 ans. S'ils s'entendent, «le gouvernement en prendra acte», a assuré le Premier ministre. Or, la solution préconisée par Philippe ce mercredi est celle que propose le Medef depuis des mois, qui n'a donc pas trop intérêt à ce que les partenaires sociaux débouchent sur autre chose. «Ils nous font le même coup qu'à l'Unedic», peste-t-on à la CFDT. Et ce n'est pas les quelques mesures sur la pénibilité liée au travail de nuit qui pourront servir de compensation.

Dans ce discours d'un peu moins d'une heure, Edouard Philippe a, certes, confirmé plusieurs engagements de son gouvernement qui rassureront les «réformistes» : on pourra toujours partir à la retraite à 62 ans et la «valeur du point», indexée sur les salaires et non plus sur l'inflation, ne «baissera pas». Pour que ce dernier ne soit «pas fixé à la sauvette», il demandera «aux partenaires sociaux de fixer sa valeur et son évolution, sous le contrôle du Parlement».

Les enseignants «ne perdront pas un euro»

Garantie d'un minimum contributif à 85% du smic pour une carrière complète, droits familiaux renforcés, cotisations supplémentaires pour les plus hauts revenus : le chef du gouvernement a repris mercredi une très grande partie des solutions inscrites dans le rapport Delevoye de juillet. Avec une différence de taille : le calendrier d'application. Les premières générations concernées par le système universel ne seront pas celles nées après 1963 mais après 1975. Ces dernières commenceront donc à cotiser dans le nouveau système et avec les nouvelles règles à partir du 1er janvier 2025. Les «jeunes générations», a précisé le Premier ministre, soit celles nées en 2004, «intégreront directement» le régime à points en 2022. «La réforme sera alors irréversible», s'est félicité Edouard Philippe, qui a également précisé le calendrier du projet de loi : présentation en Conseil des ministres le 22 janvier avant une première lecture à l'Assemblée nationale fin février pour une loi votée d'ici l'été.

Lésés par cette réforme s'ils n'obtiennent pas de hausses de salaires, les professeurs et instituteurs devraient, a promis Edouard Philippe, obtenir une «première marche de revalorisation» dès 2021. «Il serait inacceptable que les enseignants perdent le moindre euro de pension», a assuré le Premier ministre, sans pour autant avancer la moindre somme. Il s'est simplement engagé à ce que figure dans la future loi-cadre la garantie «que le niveau des retraites des enseignants [soit] comparable aux autres fonctionnaires de catégorie A».

Flou sur les régimes spéciaux

Reste à connaître le sort des régimes spéciaux… Si le chef du gouvernement a rappelé que «le temps […] des régimes spéciaux s'achève», il n'a, étrangement, pas donné de date pour l'extinction de ces derniers renvoyant la solution à des négociations au sein des entreprises concernées. Dans le dossier de presse distribué à la fin de son discours, il est néanmoins écrit que «les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux» qui peuvent aujourd'hui partir dès 57 ans ne seront pas concernés avant la génération 80. Pour ceux qui partent actuellement à 52 ans, la première génération concernée sera celle de 1985.

«Il me semble que les garanties données aux populations les plus inquiètes justifient que le dialogue reprenne et que la grève – qui pénalise des millions de Français – s'arrête», a demandé Edouard Philippe, assurant de son soutien «tous ceux qui galèrent et pour qui chaque journée est devenue un véritable parcours d'obstacles, entre les transports et les problèmes de gardes d'enfants». Alors que se profilent deux nouvelles journées de mobilisation (jeudi puis mardi prochain) contre cette réforme inscrite au programme présidentiel du candidat Macron et que l'Ile-de-France reste paralysée par la grève des transports en commun, le chef du gouvernement a expliqué qu'il ne voulait pas entrer dans «une rhétorique guerrière» : «Je connais la culture de la lutte et je la respecte, a souligné l'ancien maire du Havre. Je ne veux pas, dans la France d'aujourd'hui, fragmentée, […] entrer dans la logique du rapport de force.» Et pourtant, ces annonces ne calmeront pas les opposants et devraient même en créer de nouveaux.