Pour la première fois depuis qu'il est sorti de prison, Alain Carignon doit participer ce lundi à un conseil municipal grenoblois, vingt-quatre ans après son départ imposé par son dossier judiciaire. Candidat aux municipales à la tête d'un rassemblement estampillé «société civile» et lancé dans une campagne acharnée contre le maire écologiste Eric Piolle, l'ancien édile RPR doit son mandat anticipé au soutien surprise de deux conseillères municipales de droite, dont la secrétaire départementale de la fédération iséroise des Républicains (LR), Nathalie Béranger. Elles ont démissionné pour libérer la place à l'ancien maire et «lui offrir une tribune» préélectorale, explique tout de go Nathalie Béranger.
Condamné en 1996 à quatre ans de prison ferme pour «corruption, abus de biens sociaux et subornation de témoins», puis en 1999 pour «abus de biens sociaux et usage de faux», l'ancien maire vit ce retour avec jubilation : il tentait de retrouver un mandat depuis 2002, à l'issue de ses vingt-neuf mois de prison et de ses cinq ans d'inéligibilité. Lors des dernières municipales, Alain Carignon figurait sur la liste UMP-UDI, mais à la neuvième place en raison des oppositions subsistant dans la droite grenobloise à son égard. Et seuls sept membres de la liste avaient été élus.
Influence
Lundi, il ne siégera pourtant pas au sein du groupe d'opposition de droite. Son président, Matthieu Chamussy, tête de liste en 2014, y a soigneusement veillé. «Nous n'avons rien en commun sur le plan des idées. Il appartient à la catégorie des démagogues», tranche-t-il, dénonçant «le show» autour de cet événement politique. Chamussy se présente comme le garant d'une «droite gaulliste sociale», qu'il oppose à une «droite thatchérienne» incarnée aujourd'hui par le parti LR, qu'il a quitté. Et hésite entre deux solutions pour l'élection : construire une liste de droite modérée ou faire alliance avec la candidate macroniste, la députée de l'Isère Emilie Chalas.
Une liste anti-Carignon soutenue par LR apparaît désormais comme hautement improbable depuis le ralliement de la secrétaire départementale du parti à l'ancien maire et sa présence confirmée sur sa liste. Nathalie Béranger assume : «Sa vision et son projet me correspondent de manière très claire.»
Encarté LR, Alain Carignon est par ailleurs délégué de circonscription pour son parti et bénéficie du soutien actif des militants grenoblois. Le président de LR Isère, Yannick Neuder, vice-président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes et proche de Laurent Wauquiez, refuse pourtant de se prononcer sur un soutien officiel. Pour lui, la constitution d'une autre liste de droite est encore possible : «L'engagement de Nathalie Béranger est personnel. Je dois permettre à tout le monde de s'exprimer au sein de la maison LR : j'ai des pro et des anti-Carignon, or j'ai été élu pour ma capacité à rassembler.» Neuder renvoie la décision à la commission nationale d'investiture (CNI) de LR, présidée par Eric Ciotti. Mais au siège, on coupe court : «La CNI n'a pas été saisie d'une demande d'investiture» et «n'accorde pas de soutien national hors investiture».
Si les dirigeants se renvoient la balle, c'est qu'Alain Carignon, ancien ministre, proche de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, conseiller du président Jacob au sein de LR, a gardé une vraie influence. «Il est aussi délicat d'assumer un soutien à Carignon que de faire face aux conséquences d'un refus», analyse un ténor de la droite grenobloise.
Irrégularité
A gauche, l'indignation est unanime. Samedi, au local de campagne de son rassemblement «Grenoble en commun», Eric Piolle a fustigé «l'offensive du monde des fake news et des démagogues», illustrée localement par «le retour de celui qui a sali la ville». Raymond Avrillier, militant écologiste, lanceur d'alerte et «tombeur» d'Alain Carignon, ayant mis au jour et documenté le système de corruption autour de l'ancien maire, a saisi la préfecture sur «l'impossibilité du fonctionnement normal des institutions» en présence «d'un corrompu». S'appuyant sur le code des collectivités territoriales, il argumente que Carignon est «en situation de conflit d'intérêts» : «Il reste lié et intéressé par ces sociétés, organismes, associations, personnes qui ont été favorisés par ses décisions illégales» et qui sont «pour certains toujours en place». Ses votes au sein du conseil municipal seraient dès lors entachés d'irrégularité, selon Avrillier.
Alain Carignon clame qu'il n'a bénéficié «d'aucun enrichissement personnel» minimisant son délit de corruption. Mieux, il assure sans ciller que sa condamnation est un plus. «Ce que j'ai traversé me rend encore plus attentif, plus sensible. J'ai une chance d'avoir connu de la vie sa réussite et sa férocité», confie-t-il dans les colonnes du Point, se félicitant de «ce double regard qui [lui] permet de répondre humainement et en profondeur aux problèmes des Grenoblois».
Ce lundi, Grenoble en commun a prévu d'organiser une «manif de droite» devant le conseil municipal pour dénoncer le retour d'Alain Carignon dans les murs, ironisant avec des mots d'ordre comme «Non au vélo !» «Grenoble, Levallois, même combat», allusion à Patrick Balkany, condamné et actuellement en prison pour corruption, ou encore «We love Zemmour».
Dès l'ouverture du conseil municipal, Alain Carignon doit, lui, poser une (vraie) question orale en soutien aux unions de quartier et aux commerçants du centre-ville opposés au développement du vélo par l'équipe d'Eric Piolle. Il dénoncera les «conséquences catastrophiques» du nouveau plan de circulation sur l'emploi, l'attractivité du centre et la pollution. Ses thèmes de campagne favoris.