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Libération
Reportage

Grève : «Oui j’en chie, mais je défendrai jusqu’au bout la mobilisation»

Paris, Lyon, Lille… Entre soutien et fatigue, les habitants des grandes villes s’organisent toujours pour pallier l’absence de transports en commun.
Vendredi, rue de Rivoli à Paris. (Photo Denis Allard)
publié le 15 décembre 2019 à 19h56

S'adapter, trouver le plan B, recourir au système D, prendre son mal en patience, se demander combien de temps il va encore falloir tenir : alors que s'ouvre une nouvelle semaine de grève, avec Noël en ligne de mire (bien floue), Libé a vadrouillé dans plusieurs territoires de France pour observer, regarder et écouter la vie qui change le temps d'un mouvement social qui a un début, mais pas encore de fin.

Paris, samedi, 14 heures. Le long du boulevard Haussmann, le pas cadencé des badauds est rythmé par le tintement sans fin des cloches de l'Armée du salut. Alors que la grève en est à son dixième jour et que de nombreuses lignes de métro sont fermées, les achats de Noël ont tout de même poussé la foule vers les grands magasins. Devant le Printemps Haussmann, Nadia enchaîne les appels téléphoniques et tire frénétiquement sur sa clope. «J'habite en banlieue. J'ai réussi à me mettre en télétravail pour la semaine, mais je devais venir faire des achats spécialement ici, dit-elle en désignant la masse des promeneurs. C'est toujours une galère, les courses de Noël. Encore plus avec la grève.»

Bien tassée

Dans les allées des Galeries Lafayette, paquets et poussettes s'entrechoquent sur fond de chants de Noël remixés et promotions spéciales. L'air chaud soufflé par les aérations se mêle aux effluves en provenance des stands de parfums. Alors que plusieurs dizaines de personnes font la queue pour se prendre en photo devant le sapin démentiel qui siège sous la coupole, un couple fait la liste des cadeaux manquants tout en se demandant le chemin à prendre pour rentrer. La jeune femme habite Antony (Hauts-de-Seine). «Je travaille à Paris et j'ai préféré passer la semaine pas loin du boulot. Hier soir, je suis rentrée chez moi. J'ai seulement attendu vingt minutes mon RER à Châtelet. Je ne suis pas la plus à plaindre, observe-t-elle. Pour ceux qui prenaient le RER B et qui allaient vers le nord, ce n'était pas la même histoire.»

Devant la Fnac de Saint-Lazare, un vendeur de roses fait grise mine. «Avec la grève, les gens n'ont pas envie de se retrouver serrés dans un bus avec des fleurs, ça les écraserait !» A quelques mètres de là, rue de Caumartin, Sami et Adrien distribuent sans grand succès des tracts publicitaires pour une marque de baskets. Les deux jeunes taillent le bout de gras. Sujet du jour : comment chacun est rentré chez lui la veille. «Dans le bus j'ai vu un mec qui a failli en planter un autre avec son couteau ! Ça devient n'importe quoi», s'exclame Sami qui habite Stains, en Seine-Saint-Denis. «Normalement je mets trente minutes porte à porte pour venir dans le quartier, et ce matin j'ai mis 1 h 30, dit son camarade Adrien, de Bobigny. A mon avis il faut se préparer pour janvier. Ça ne va pas s'arrêter.»

A 17 heures, devant la station Château d'eau, dans le Xe arrondissement, un grand bonhomme distribue des flyers à l'entrée du métro : «Dieu connaît notre mission. N'oublions pas que nous allons tous mourir. Notre temps est compté sur cette terre !» Christiane, retraitée, cherche son chemin : «Je ne sais pas si la station République est ouverte. Je marche depuis Châtelet, ça commence à faire long.» Au guichet, l'agent de la RATP égraine les stations non desservies. «Vous faites bien chier le monde !» s'énerve une femme. En direction de Montrouge, la cohue du quai déborde jusque dans les escaliers et lorsqu'un rare métro entre en gare, c'est la mêlée. Une fois bien tassée par les portes automatiques, la foule se terre en silence, les yeux au ciel, jusqu'au prochain arrêt. «Autant prendre le bus ou marcher, souffle une vieille dame en serrant fort son cabas. Ici, c'est l'enfer.»

Un grand banlieusard au crâne rasé et au jean large raconte un début de soirée particulièrement stressant. Jeudi, le trentenaire, agent de maîtrise dans les ressources humaines, a passé l'obstacle de l'autoroute pour rentrer chez lui à Triel-sur-Seine, à 40 bornes de la capitale. Sur une départementale, deux chemins se sont offerts à lui à la nuit tombée : passer par des petites villes ou continuer tout droit sur la grande route. Son téléphone n'avait plus de batterie. Pas de GPS, donc pas de filet, ni de couleurs pour indiquer les axes remplis à ras bord. «Je te jure, j'ai une grosse boule qui s'est formée. Soit j'étais chez moi en quinze minutes, soit en quarante-cinq. Est-ce que c'est énorme ? Non. Mais quand tu as déjà roulé trois heures dans la journée… Je ne sais pas, tu veux juste en finir.» Il a réfléchi dans le sens inverse des aiguilles d'une montre : «J'ai pris le chemin qui est toujours vide en me disant qu'il serait forcément rempli.» Mauvais choix. La boule est restée. Il dit : «Ce n'est pas que la route qui t'épuise. Il y a le moment où tu arrives au travail et tout le monde ne parle que du retour. Comment rentrer ? Qui a un plan ? Ça devient une obsession.»

Rien compris

Sur le quai de la gare de Grenoble, des rangées de passagers attendent, ensuqués, le 6 h 22 pour Lyon. Le prochain est à 16 h 22. En temps normal, à l'heure de pointe, un train toutes les demi-heures relie les deux métropoles rhônalpines. Le 5 décembre, la SNCF annonçait un trafic quasi à l'arrêt sur les TER de la région. Lundi dernier, aucune rame ne circulait entre Lyon et Grenoble. A l'université Lyon 2, deux campus ont été fermés les 5, 10 et 12 décembre. Estelle, étudiante en psychologie là-bas, fustige les réveils trop tôt le reste du temps. Et confesse n'avoir rien compris à la réforme. «C'est loin tout ça pour moi.» Ce vendredi, seuls huit trains font l'aller-retour, souvent ralentis car surchargés. Des bus ont été mis en place, mais il y a une part d'arbitraire : ils ne relient que les étapes intermédiaires de la ligne.

Matthieu, quadra consultant en urbanisme, est préoccupé : «Je ne veux pas qu'on dise que c'est du temps perdu, je soutiens le blocage, les cheminots ont un gros pouvoir, ils ont raison de s'en servir. Mais c'est vrai que ça bouleverse mon rythme.» Il se rend à Lyon trois fois par semaine pour des rendez-vous. «Dans le train, habituellement, je bosse mais là, je ne suis pas sûr de pouvoir ouvrir mon ordi tellement on est tassés.» Il est également un habitué du covoiturage. Devant la gare, les départs matinaux sont si nombreux qu'on peut parfois s'inviter à la sauvage dans une voiture, sans passer par l'application de Blablacar. Avec la grève, certains proposent à 10 euros des trajets d'ordinaire autour de 8 euros. «Ma voiture est confortable, je limite à deux places à l'arrière et je fais en sorte d'être à l'heure», se justifie Yves, à côté de sa Merco rutilante. Une fois à Lyon, les pendulaires peuvent souffler : hormis quelques lignes de bus, le réseau des métros et des trams fonctionne normalement. Un répit de courte durée, car il faut penser à rentrer. Yves : «Je repars de Lyon à 17 h 30, je le signale aux gens à l'aller, s'ils veulent qu'on s'arrange sans Blablacar…»

Nyima est commis et serveur dans un hôtel-restaurant à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) mais habite à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) à une vingtaine de kilomètres de son lieu de travail (une heure trente porte à porte quand tout se passe bien). «Le premier jour de grève, j'avais posé ma journée. Mais le lendemain, il y avait un gros événement à l'hôtel, qui accueillait 300 personnes. Ils avaient besoin de moi. Mes supérieurs m'ont dit que je pourrais rester dormir sur place. Alors je suis parti avec une grosse valise, au cas où», Avec les grèves, il a dû prendre un RER jusqu'à Châtelet, au cœur de la capitale. Ensuite, la ligne 14 (automatisée) du métro, puis deux bus pour terminer par vingt minutes de marche. «Au total, ça m'a pris quatre heures trente. Depuis le week-end dernier, je suis hébergé gratuitement à l'hôtel où je travaille. On est plusieurs dans ce cas. Sinon, je ne sais pas comment j'aurais fait, dit l'employé de 27 ans. Sur le papier, c'est super, mais ça a aussi des désavantages : quand je ne travaille pas, je suis quand même sur mon lieu de travail. Et comme je dors sur place, il arrive aussi que je finisse plus tard que prévu. Pour un ou deux jours, ça va, mais je commence un peu à trouver le temps long.» Nyima n'a pas trop suivi les raisons pour lesquelles la grève s'est installée. Il analyse de façon plus large : «En tant que réfugié politique tibétain, je sais que c'est une chance que vous avez en France de pouvoir vous mobiliser. Ça m'avait déjà frappé l'an dernier au moment des gilets jaunes.»

Sirène et giro

A l'hôpital Necker-Enfants malades (XVe arrondissement de Paris), c'est l'heure de la pause-café pour Benoît et Ludo, brancardiers, 30 et 46 ans, cernes creusés et mines franchement pâlottes. Depuis le début du mouvement, les services sont en effectif réduit (des médecins font grève, d'autres sont démunis de locomotion) et les forces en présence trinquent. Benoît tend sa montre : «Vous voyez, là, j'en suis déjà à 14 kilomètres de marche aujourd'hui dans les couloirs de l'hôpital. Une journée ordinaire, c'est plutôt 6 ou 7 kilomètres.» Ludo embraye : «On court partout, on multiplie les allers-retours. On commence vraiment à être sur les rotules.» Les deux acolytes vivent en grande banlieue, à Meaux et Juvisy-sur-Orge, respectivement à 55 et 28 kilomètres de Paris. Pour éviter les bouchons dantesques du périph, ils restent dormir à l'hôpital. «C'est de notre responsabilité d'être présents. Je ne jouerai jamais avec la vie ou le confort des patients, dit Benoît, par ailleurs fervent soutien des grévistes. Au niveau du gouvernement, il y a beaucoup de tromperie. Je suis fier de voir les citoyens français se rebeller et montrer qu'ils ne sont pas dupes.» A quelques mètres de la cafétéria, Edouard, ambulancier, fume sa clope. «J'en suis à deux paquets par jour en ce moment. Quand j'ai des breaks de vingt minutes, il m'arrive d'en allumer trois d'affilée.» Il se dit plus angoissé, «la faute à ce stress» accumulé dans les embouteillages parisiens lorsqu'un enfant est à bord du véhicule. Edouard a beau mettre les sirènes et le giro, «la plupart du temps, les autres véhicules ne peuvent même pas se décaler sur un mètre». Angoisse : «Les minutes pour se rendre à l'hôpital sont interminables. Je n'ai pas encore vécu de drame, mais j'ai conscience du risque accru. Depuis une semaine, il faut avoir les nerfs bien accrochés.»

Dans un bâtiment qui accueille les étudiants en médecine, Myriam, agent de sécurité, pense à la fin de son service, à 23 heures, lorsqu'il lui faudra pédaler encore 10 kilomètres sur son vélo depuis Necker pour rejoindre ses filles et son appartement d'Aubervilliers. «J'en pleure déjà, lance-t-elle avec le sourire. Oui j'en chie, mais je défendrai la mobilisation jusqu'au bout.» D'autant que sa patronne, plutôt clémente, l'autorise un soir sur deux à quitter plus tôt son poste. «C'est primordial de se montrer solidaires entre nous. Certains se mettent en grève pour nous obtenir une retraite décente. La moindre des choses est de ne pas leur mettre de bâton dans les roues. Et de s'organiser sans broncher.»

Sans animosité

C'est déjà les soldes dans cet hôtel trois étoiles situé au pied de la butte Montmartre, côté mairie du XVIIIe arrondissement : des rabais de plus de 40 %, du coup, le prix de la chambre atteint à peine les 70 euros. «Nous faisons un geste commercial car nos réservations ont chuté de plus de 60 %, explique Yves, le manager adjoint de l'établissement. Pour nous, les fêtes de Noël sont habituellement plutôt calmes car les gens les passent en famille. En revanche, notre clientèle est assez importante au moment du réveillon de la fin de l'année.» Parmi elle, 60 % y séjournent pour raison d'affaires. «Nous avons à gérer des clients mécontents. Ils nous demandent de les rembourser même si ce n'était pas inscrit dans les conditions de réservation. C'est assez compliqué comme situation et cela risque d'avoir des répercussions sur la réputation de l'hôtel.»

Plus haut sur la butte, l'ambiance n'est pas plus reluisante, mais sans animosité pour autant. «Même si nous subissons les inconvénients liés à la grève, je comprends que les personnes se battent pour leurs droits», dit Eva, réceptionniste dans l'un des hôtels haut de gamme de la rue Lepic. «Il faut être patient», ajoute sa manageuse. Pour le moment, les réservations ont chuté de 40 %, l'équivalent de ce qui s'était passé pendant le mouvement des gilets jaunes à la même époque l'an passé. Mais rien que pour la nuit du vendredi à samedi, il y a eu cinq annulations, ce qui compte dans cet hôtel d'une trentaine de chambres. Pour l'heure, les réservations sont encore maintenues pour la Saint-Sylvestre. «Nos clients attendent sans doute de voir comment les choses vont tourner», évalue Eva.

Au tribunal correctionnel de Paris, devant la vingt-troisième chambre, Me Cédric Alépée expose : «A cause de la grève, je n'ai pas pu me déplacer pour m'entretenir avec mon client, placé en détention provisoire, et certaines pièces du dossier ne m'ont pas été transmises.» Lors de cette audience, jeudi, l'avocat a demandé le renvoi du procès de son client, poursuivi pour trafic de crack, qui passait en comparution immédiate. Renvoi obtenu. La veille, le président de la cour d'assises de l'Essonne a également décidé de reporter à une date ultérieure le procès en appel de deux ex-skinheads impliqués dans la mort du militant antifasciste Clément Méric, en 2013. Selon le tribunal d'Evry, «plusieurs témoins essentiels ont indiqué qu'ils ne pourraient pas faire le déplacement à cause des grèves qui perturbent les transports». Le procès, qui devait s'ouvrir le lundi 9 décembre, avait déjà été reporté au lendemain : un des deux accusés manquait à l'appel, sans moyen de déplacement pour se rendre à l'audience. Du tribunal correctionnel à la cour d'assises, le mouvement de grève contre la réforme des retraites ralentit certaines procédures. «Parfois, les prévenus reviennent me voir bredouilles car ils n'ont trouvé ni juges ni avocats, explique une secrétaire d'accueil du tribunal de grande instance de Paris. Dans ce cas, on les renvoie vers les greffiers pour convenir d'une autre date.»

«Ça me saoule»

A Lille, vendredi matin, sur le quai où est annoncé le Thalys pour Bruxelles de 9 h 30, un seul voyageur. Hugues, 33 ans, opticien. Il a été muté dans la capitale belge juste avant la grève. «Entre les trains annulés et les bus qui n'avancent pas, je galère, sourit-il. Le train de 9 h 08 a été annulé, je commence normalement à 10 heures, je vais être en retard. Mais je comprends le mouvement. Les gens choisissent un métier pour une sécurité de l'emploi, pour une retraite. Ce sont des engagements et ensuite on les leur reprend. Par contre, un petit service minimum, ça aurait été bien.» Il n'a pas d'avis sur la réforme. Des agents du Thalys le contrôlent. Grésillement du talkie-walkie, le train ne prendra pas le départ. «Là, ils font fort, remarque-t-il sans perdre sa bonne humeur. Je préviens mon directeur et ensuite, je regarde ce qui part le premier, entre le bus et le Thalys.» Ouibus gagne : «Le train de 11 h 20 est toujours valable, le trajet dure une demi-heure, mais je préfère arriver un peu plus tard et jouer la sécurité. Je relativise car je suis parisien d'origine et, en Ile-de-France, sans la RATP et la SNCF, on ne peut plus bouger.» Et pour les vacances de Noël qui arrivent ? «Je n'en ai pas !»

Au contrôle des passeports de l'Eurostar, c'est un groupe d'amies qui patiente. Elles partent en week-end à Londres, réjouies : «On a réservé il y a deux mois et a priori, il n'est pas annulé.» Parmi elles, Caroline, 27 ans, conseillère en gestion de patrimoine, est une habituée de la gare : «Je vais régulièrement en TGV à Paris, pour mon travail, mais pas cette semaine. J'évite la galère, j'ai annulé des rendez-vous et j'ai travaillé sur l'antenne de Lille. Moi, la grève, ça me saoule, dit-elle un chouïa énervée. Je ne suis pas trop l'actualité, mais je trouve que c'est plutôt une bonne chose d'aligner tout le monde de manière globale. Là il y a beaucoup trop d'exceptions, même s'il faut prendre en compte la pénibilité. De toute façon, on va devoir se débrouiller tout seuls pour nos retraites. Je préfère me faire confiance et placer sur le long terme.» Et l'âge pivot ? «Travailler jusqu'à 64 ans, moi non plus je ne me vois pas.» Ses amies interviennent : «D'ici dix ans, pour nous, ce sera 67 ans…» Caroline approuve : «Si j'ai envie de partir plus tôt, je préfère compter sur moi, il y a la possibilité de racheter des trimestres. Il faut d'ailleurs faire prendre conscience aux jeunes qu'ils doivent commencer à préparer la retraite dès maintenant.»

Triangle d’or

Devant un café du VIIe (et très bourgeois) arrondissement de Paris, la circulation est fluide et le temps comme suspendu. Ni coups de klaxon ni échanges d'insultes… «La routine quoi», résume Alexandre, le voiturier de l'établissement. D'ailleurs, depuis le début de la mobilisation, l'employé constate que la fréquentation du café n'a pas non plus bougé d'un iota. «Vous savez, notre clientèle travaille et vit principalement dans le Triangle d'or [au niveau des avenues Montaigne, des Champs-Elysées et Georges V, ndlr]. Ce sont des hommes et des femmes d'affaires, il y a aussi des politiques. Toute leur vie se résume à un périmètre de 2 kilomètres à la ronde.» Alexandre habite l'Essonne mais il vit actuellement à quelques pas de son travail. Dans une chambre de bonne, prêtée justement par l'un des habitués de l'établissement le temps des grèves. «Les élites parisiennes ne sont pas toutes dans leur bulle, dit le voiturier. Certes, ils sont loin d'être en galère, leur quotidien n'est pas du tout chamboulé et les discussions à table ne tournent pas autour de la mobilisation. Mais j'ai l'impression que certains d'entre eux sont sensibles à l'ambiance générale et savent se montrer compatissants.»

Dans le bar-tabac tenu par Julien, rue Vaugirard dans le XVe arrondissement, les visages au comptoir sont tout aussi familiers. «Il y a pas mal d'ouvriers des chantiers aux alentours qui viennent chez moi. Ce sont des banlieusards qui sont ici tous les jours malgré un Paris bouché», raconte ce patron de 28 ans. Seul indice d'une semaine pas tout à fait comme les autres : les heures du premier café, avancé à 6 h 30 du matin au lieu des 8 heures pétantes habituelles, et de la première bière à 17 heures plutôt que 18 h 30. Julien : «Disons que mes clients savent s'adapter en toutes circonstances.»