C'est une menace d'une démission collective que brandissent désormais les chefs de service hospitaliers. Profondément déçus par les annonces du Premier ministre le 20 novembre, les médecins reprennent l'initiative. L'absence de réponse à la demande «d'entrevue urgente» que le collectif Inter-Hôpitaux a adressée par courrier le 9 décembre à Emmanuel Macron et Edouard Philippe a fini de les convaincre qu'aux yeux du couple exécutif, le dossier hôpital a perdu de son importance. Alors que sur le terrain, la perception est inverse : avec le retour des épidémies hivernales, la pression sur les soignants et, par ricochet, les risques de «pertes de chances» pour les malades, ne font que s'accentuer. «Des établissements référents comme Necker et Robert-Debré refusent de prendre en charge d'enfants qui exigent une greffe car avec l'épidémie de bronchiolite, ils n'ont plus de lits en réanimation» s'étrangle Michel Tsimaratos, chef de service multidisciplinaire pédiatrique de la Timone Enfants, à Marseille. «Et s'ils manquent de lits, c'est parce qu'ils manquent d'infirmières pour s'en occuper…»
Considérant de leur «devoir» de jouer les «lanceurs d'alerte», les médecins passent à l'action radicale. Et ce, sans attendre l'issue de la deuxième «grande marche» de l'hôpital public, mardi. Depuis deux semaines, un appel à la «démission collective» circule sous le manteau, de mail en mail, de bouche en bouche, dans la communauté médicale. Une initiative destinée à se changer en arme de négociation massive si plus de 1 000 signataires s'en saisissent d'ici au 18 décembre. Dimanche, ils ont publié une tribune dans le JDD.
«On ne peut pas continuer à cautionner le système»
«Nous n'avons pas trente-six moyens d'action, tranche Rémi Salomon chef du service de néphrologie pédiatrique de l'hôpital Necker-Enfants malades. Notre éthique nous interdit de faire la grève des soins. La rétention du codage, donc de la facturation des actes médicaux hospitaliers, c'est fait. La mobilisation dans la rue aussi. Il nous reste la démission. C'est assez symbolique : on continuera de travailler, on n'abandonnera pas nos équipes. Mais on ne peut pas continuer à cautionner le système.»
De quoi créer, avis de mandarins, «beaucoup d'émoi» si la menace venait à se concrétiser : «On n'assumerait plus nos missions administratives, comme l'encadrement des internes, la déclaration des effets indésirables liés à la qualité et la sécurité des soins, les fermetures de lits pour manque d'infirmières», énumère Michel Tsimaratos. Or l'administration n'a pas les moyens de gérer cela service par service.» Le professeur Philippe Lévy, chef du service de pancréatologie-gastroentérologie à l'hôpital Beaujon, renchérit : «Cela veut aussi dire ne plus aller à des réunions où on se fait taper sur les doigts parce que le taux d'ouverture de lits est passé de 84% à 82% alors qu'on n'a pas d'autre choix si on veut assurer la sécurité de mes patients.»
Parmi les premières à avoir paraphé l'appel, Isabelle Desguerre, chef du service de neuropédiatrie à l'hôpital Necker, insiste : «Nous refusons d'être plus longtemps les agents d'une disette que l'administration nous impose. Nous ne voulons plus devoir justifier l'injustifiable, comme le refus d'hospitaliser des enfants ou la décision de fermer des lits.» Cependant, ce geste est vécu comme extrême par beaucoup : «Pour les chefs de service, démissionner est un crève-cœur, explique la professeure. Certains l'assimilent à de la désertion, comme si cela remettait en cause leur professionnalisme.»
D'autres craignent que l'administration ne s'engouffre dans la brèche pour fondre les services hospitaliers dans des pôles plus vastes. La pédiatre de Necker balaye ces réticences : «Nous devons agir. Les médecins n'ont plus aucun pouvoir dans la gouvernance des hôpitaux. Si nos services sont en difficulté, c'est que les infirmières ne veulent plus rester. Elles sont maltraitées et souvent au bord du burn-out. Nous le constatons sans rien pouvoir y faire. Il y a urgence à remédicaliser les prises de décisions au sein des hôpitaux, à redonner de l'attractivité aux métiers de soignants.»
Colère palpable
Effrayée par la rapidité avec laquelle «la chaîne de soin se délite», Véronique Leblond, cheffe de service hématologie à la Pitié-Salpêtrière, a elle aussi signé l'appel. «Dans un service très spécialisé comme le mien, le turnover des infirmières est un drame, martèle-t-elle. J'en ai cinq qui partent en janvier qui ne sont pas remplacées. Les intérimaires sont nulles au point que certains malades refusent qu'elles entrent dans leur chambre. Soigner des patients qui ont reçu une greffe de moelle osseuse ne s'improvise pas ! Ce qui se passe est honteux.»
Reste à savoir si l’appel à la démission collective rassemblera le nombre requis de signataires. Lundi, ils n’étaient encore que 774. A une écrasante majorité, des hospitaliers exerçant à Paris ou en Ile-de-France. Mais la colère est palpable à Toulouse, Limoges, Pau, Clermont-Ferrand, Rennes, Cherbourg, Grenoble, Saint-Etienne ou Montauban.