Jamais depuis son élection en mai 2017 le président «jupitérien» n'avait été à ce point en retrait. Et jamais son Premier ministre n'avait paru assumer avec tant d'engagement et de conviction le rôle que lui assigne le fameux article 20 de la Constitution, qui stipule qu'il «détermine et conduit la politique de la Nation» à la tête du gouvernement. Mercredi dernier, dans son discours de présentation du «nouveau pacte national pour les retraites», Edouard Philippe a ostensiblement usé de la première personne. Le soir même, invité du journal de TF1, il remettait ça devant près de 7 millions de téléspectateurs : «J'ai pris la décision que ne seront concernés que ceux qui se trouvent à plus de 17 ans de leur âge de départ à la retraite», ajoutant «si je suis ferme sur le principe de la réforme, […] je ne suis pas fermé».
Première ligne
Omniprésent, il participait vendredi à un échange tendu face à une centaine de professeurs dans l'agglomération de Nancy : «Je n'ai absolument pas d'angoisse, je n'ai absolument pas peur de cette réforme et des réactions. Je le dis très tranquillement», a-t-il alors répondu à une enseignante qui venait de lui expliquer que cette réunion publique se tenait «parce que nous sommes dans la rue et que vous avez peur». Dimanche, répondant aux questions d'un panel de Français réunis par le Parisien, il affirmait ne pas se poser la question d'un éventuel échec : «Cette réforme, j'y crois. Je suis déterminé. C'est pour cela que je suis calme.»
Certes, ce n'est pas la première fois que le locataire de Matignon se trouve en première ligne. Il avait clairement porté, dès le début du quinquennat, l'abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la limitation à 80 km / h sur les routes ou encore la réforme de la SNCF. Mais avec l'irruption des gilets jaunes sur le devant de la scène politique l'an dernier, plusieurs responsables de la majorité avaient vu dans les slogans réclamant la démission d'Emmanuel Macron la fâcheuse conséquence d'une surexposition du chef de l'Etat. «Ce gouvernement et cette majorité ne protègent pas suffisamment le Président», a maintes fois regretté, de son côté, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac Jean-Pierre Raffarin.
«Très heureux»
Cette fois, le couple exécutif semble avoir décidé de changer son mode de fonctionnement. Selon ses proches, Edouard Philippe est «très heureux» de porter cette réforme. Il répète à qui veut l'entendre qu'il fait de la politique «pour changer les choses» et qu'il est donc servi par les temps qui courent. Il soutient qu'on aura rarement vu, depuis le début de la Ve République, un président et son Premier ministre aussi bien «alignés». A l'Elysée comme à Matignon, on dément toute divergence, alors que certains parlementaires de La République en marche soupçonnent l'ancien bras droit d'Alain Juppé d'avoir inutilement braqué la CFDT en imposant le désormais fameux «âge d'équilibre» à 64 ans. «C'est une décision collégiale qui a été discutée et partagée lors du dîner du 10 décembre à l'Elysée», proteste un proche de Philippe. L'Elysée ne va évidemment pas jusqu'à laisser croire qu'Emmanuel Macron aurait lâché l'affaire. C'est bien dans le palais présidentiel qu'ont eu lieu les réunions d'arbitrage, jusqu'à la dernière, mardi soir, à laquelle participaient les principaux dirigeants de la majorité.
Pour le chef de l'Etat, cette réforme des retraites reste l'indispensable clé de voûte de sa politique. Si elle venait à manquer, à l'heure du bilan, la campagne pour sa réélection en 2022 serait gravement compromise, notamment parce que l'électorat de droite, aujourd'hui son principal soutien, se détournerait du macronisme. Mais aux yeux des Français, au plus fort de la contestation, c'est bien Edouard Philippe qui porte le projet de régime universel tandis qu'Emmanuel Macron se déploie sur la scène internationale. La semaine dernière, du sommet sur l'Ukraine à Paris au Conseil européen à Bruxelles, Emmanuel Macron s'est contenté de défendre en quelques phrases la philosophie de son projet : «Une réforme de refondation» qui viserait à «recréer la confiance dans le système de retraite». Et non un projet «avant toute chose budgétaire», a-t-il insisté, s'adressant implicitement au secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Alors que le chef de l'Etat doit s'envoler en fin de semaine pour la Côte d'Ivoire, le Premier ministre aura sans doute apprécié cette discrète contribution présidentielle au «rattrapage» du syndicat réformiste.